Stabilité des prix sans écologie
Cette analyse s’inscrit dans notre dossier “Écologie : ce qui pose problème dans les traités européens”.
Nous avions montré précédemment en analysant les articles 3 et 4 du TFUE qu’il est impossible de parler transition écologique sans parler d’UE.
Par ailleurs, la politique économique en vigueur au sein de l’union et s’appliquant à la France se traduit par une austérité contradictoire avec la nécessité d’une action publique d’envergure pour répondre à la crise climatique et écologique.
Même Emmanuel Macron l’avoue dans son adresse aux français du 9 novembre 2021 : “Pour relever tous les défis qui arrivent, pour maîtriser notre destin, le marché seul ne suffit pas. Il faut assumer une intervention publique forte avec, dans quelques domaines clé, des investissements importants.”. Évidemment, les paroles sont une chose, les actes en sont une autre. Mais il est fondamental de noter que progressivement, le dogme européiste est remis en cause par les besoins de la réalité.
Historiquement, une intervention publique forte coïncide avec une politique monétaire volontariste. Au sein de l’UE et de l’euro, la France est-elle en mesure de financer ainsi à tour de bras la construction des infrastructures bas-carbone de demain ? Si ce n’est pas le cas, l’échelon supranational, est-il en mesure de l’assurer ?
Pour répondre à ces questions, il faut identifier les principes et règles de fonctionnement de l’UE et donc s’intéresser au Titre VIII du TFUE qui traite de la politique économique et monétaire.
L’esprit général de la politique économique de l’UE
L’alinéa 1 de l’article 119 donne l’esprit général de la politique économique de l’UE.
Plusieurs dimensions nous semblent particulièrement significatives :
- Tout d’abord, il s’agit d’être cohérent avec les objectifs de l’article 3 du TUE. Or, comme nous avons pu l’expliquer, celui-ci institue à l’échelle des 27 États membres, le dogme illusoire et dangereux de la croissance (verte). En effet, entre PIB et destruction de l’environnement il faut choisir.
- Si les formulations “L’Union établit un marché intérieur […] une économie sociale de marché hautement compétitive “de l’article 3 du TUE n’étaient pas assez claires, l’article 119 est limpide au sein de l’UE, en matière économique le principe est celui d’une “économie de marché ouverte où la concurrence est libre”. Plus de concurrence c’est plus d’incertitude et donc des financements plus onéreux qui pénalisent le financement des infrastructures bas carbone qui nécessitent généralement plus de capitaux. De plus, comme le suggérait Jean-Marc JANCOVICI, “si favoriser la concurrence multiplie les acteurs qui prélèvent dans l’environnement, cela ne peut que rapprocher l’échéance à laquelle les limites de ressources […] vont devenir majeures.”. La concurrence qui mène à une augmentation des prix de l’électricité, du gaz et du transport ferroviaire et pénalise le pouvoir d’achat aurait également pour conséquence d’aggraver la crise écologique.
- Finalement, “l’instauration d’une politique économique fondée sur l’étroite coordination des politiques économiques des États membres” fait que l’action unilatérale n’est pas dans l’esprit de l’UE. L’esprit est celui des consensus lents incompatibles avec l’urgence écologique et socio-économique. A contrario, l’un des principes du Frexit Écologique est le choix de l’action contre l’immobilisme des compromis improbables. Face à cette contradiction profonde, un candidat à la présidentielle EELV est totalement désarmé. Si l’étroite coordination des politiques économiques prend un temps incompatible avec celui de l’urgence, le cadre fixé par les articles 121 et 126 sont une austérité contradictoire avec la nécessité d’une action publique d’envergure.
En principe fondamentaux de la politique économique de l’UE il faut retenir : “croissance (verte)”, “économie de marché ouverte”, “concurrence libre”, “immobilisme”, “austérité”.
Avec un peu de recul, nous pourrions résumer cela en une phrase : l’esprit général de la politique économique de l’UE est une subordination totale des objectifs écologistes et progressistes aux besoins du capitalisme financiarisé.
La stabilité des prix
Les alinéas 2 et 3 de l’article 119 abordent les objectifs de la politique monétaire dont nous attendons qu’elle soit une arme essentielle dans le cadre d’“une intervention publique forte”. En la matière, encore une fois, il n’y a aucune trace d’objectifs écologistes et progressistes. Pour l’UE, la politique monétaire a pour objectif :
- “de maintenir la stabilité des prix”
- “sans préjudice de cet objectif, de soutenir les politiques économiques générales dans l’Union” c’est-à-dire les principes fondamentaux de “croissance (verte)”, “économie de marché ouverte”, “concurrence libre”, “immobilisme”, “austérité”
- Au cas où le marché ouvert et la concurrence libre auraient été oubliés, l’alinéa 2 le rappelle encore “soutenir les politiques économiques générales dans l’Union, conformément au principe d’une économie de marché ouverte où la concurrence est libre”
- De même pour l’austérité, en cas d’oubli, l’alinéa 3 rappelle le “respect des principes directeurs suivants : prix stables, finances publiques et conditions monétaires saines et balance des paiements stable”
Les objectifs progressistes de justice sociale (plein emploi, réduction des inégalités) et de transition écologique sont tout bonnement exclus.
Par rapport à la croissance (verte), l’économie de marché ouverte, la concurrence libre etc. la seule nuance apportée pour la politique monétaire est l’objectif de stabilité des prix. Ceci est incohérent avec le besoin de résorption des secteurs polluants puisqu’en première analyse, le prix des ressources fossiles doit augmenter tandis que le prix des infrastructures bas-carbone doit baisser (c’est dans cette logique qu’est d’ailleurs pensée la taxe carbone : renchérir les usages fossiles pour réorienter les consommateurs ou usagers vers les usages bas-carbone). Indépendamment du bien fondé de l’objectif de stabilité des prix, quelques observations s’impose au vue de la période actuelle. La BCE est en échec pour assurer la stabilité ou une inflation de l’ordre de 2% par an. En effet, en Allemagne, l’indice des prix à la consommation a augmenté de 4,1% ce qui englobe notamment, à l’échelle européenne, une augmentation de 500% du prix du gaz. Dans l’échec à atteindre l’objectif d’une inflation limitée à 2% il faut voir, entre autres, l’échec de la politique énergétique européenne dont la dépendance aux énergies fossiles n’a cessé de croître en 20 ans.
L’insistance de l’alinéa 2 de l’article 119 sur le “principe d’une économie de marché ouverte où la concurrence est libre” ne doit pas être prise à la légère. Fondamentalement, il s’agit de dire que la politique monétaire ne doit absolument pas biaiser la concurrence. Même si les gouvernements de l’Union considère qu’il est souhaitable de financer plus abondamment les acteurs de la transition écologique, la logique européenne interdit de défavoriser les pétroliers et constructeurs automobiles. La politique monétaire doit rester neutre, ne pas interférer avec les choix des acteurs économiques. Comme nous le montrerons plus tard, cette neutralité concerne également les administrations puisqu’en vertu des articles 123 et 124 du TFUE, la Banque Centrale Européenne et les Banques Centrales Nationales (maintenues malgré la création de l’euro) n’ont pas le droit de financer les pouvoirs publics. L’État est obligé d’emprunter sur les marchés sans privilège ce qui augmente les coûts du financement. Le principe de concurrence libre impose une neutralité de l’émission monétaire qui finance de manière indifférenciée les secteurs polluants ou vertueux et restreint la capacité d’action de l’État.
Conclusion
Dans les médias, la stabilité des prix ressort très souvent comme l’objectif principal de la politique monétaire de l’UE. C’est le cas. Néanmoins, cette fixation sur la stabilité des prix doit être prise dans un esprit plus général de la politique économique qui s’articule autour des concepts de “croissance (verte)”, “économie de marché ouverte”, “concurrence libre”, “immobilisme”, “austérité” qui sont, pris individuellement, totalement ou partiellement incohérents avec la transition écologique. Globalement, le terme le plus approprié est incohérence. L’esprit général de la politique économique et monétaire de l’UE est une subordination totale des objectifs écologistes et progressistes aux lois du capitalisme financiarisé.
Au sein de l’UE et de l’euro, la France est-elle en mesure de financer à tour de bras la construction des infrastructures bas-carbone de demain ?
Avec la mention des articles 123 et 124 du TFUE que nous analyserons prochainement, nous voyons d’ores et déjà l’impossibilité de la planche à billet. Couplée à l’austérité, la réponse est formellement non. Au sein de l’UE et de l’euro, la France n’est pas en mesure de financer à tour de bras la construction des infrastructures bas-carbone de demain.
En revanche, concernant le financement par le niveau supranational, nous ne sommes pas en mesure de répondre totalement à ce stade de l’analyse. Mais une chose est sûre : avec le principe d’économie de marché ouverte et de concurrence libre qui se traduit pas un principe de neutralité de la politique monétaire, rien n’est moins sûr.
Nous y reviendrons.