Impossible de parler transition écologique sans parler d’UE
Cette analyse s’inscrit dans notre dossier “Écologie : ce qui pose problème dans les traités européens”.
La dynamique européenne qui s’amorce dans les années 1980 mène à l’Acte unique (1986), Maastricht (1992) puis, selon la logique de l’Union sans cesse plus étroite, au Traité de Lisbonne qui regroupe le Traité sur l’Union européenne (TUE) qui fixe les objectifs de l’union et le Traité sur le Fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) qui en définit les compétences, les principes d’action ainsi que les règles de fonctionnement.
Comme indiqué dans notre brève perspective historique de la construction européenne, avec la mise en place du cadre supranational, les gouvernements anéantissent sciemment leur capacité d’action en particulier dans le champ économique. Nous allons montrer ici que le cadre européen agit de manière contradictoire par rapport aux lignes directrices de la transition écologique et que, même si en matière de politique écologique, la dépossession des gouvernements n’est pas totale, les contraintes à prendre en compte sont telles que le cadre européen ne peut être écarté de toute réflexion concrète sur la réalisation de la transition écologique.
Compétences exclusives, compétences partagées
Commençons par prendre connaissance des articles 3 et 4 du TFUE qui présentent la répartition des compétences entre l’UE et les États membres.
Entre les compétences exclusives et partagées référencées aux articles 3 et 4 du TFUE, il apparaît que l’ensemble des dimensions matérielles de l’existence sont concernées et potentiellement impactées par le cadre européen.
Dimensions matérielles de l’existence et transition écologique
Les transports, le logement, les biens de consommation, l’alimentation et les services constituent les 5 composantes principales de l’empreinte carbone dont la décomposition précise est présentée ci-dessous.
Dans le cadre de la transition écologique, l’empreinte moyenne d’un français doit passer de l’ordre de 12 tCO2eq par an à environ 1,5 tCO2eq par an au plus tôt. Passer de 12 à 1,5 tCO2eq par an revient à diviser l’empreinte par 8. A l’horizon 2050 (même si les dernières nouvelles du GIEC sont plus qu’alarmante et pour limiter le réchauffement à 2 °C, il est plus probable que la transition doit être pensée à l’horizon 2030 que 2050), cela correspond à un rythme de réduction des émissions de gaz à effet de serre de 7%-8% par an très supérieur au rythme actuel et en particulier de l’UE qui est de 1% par an depuis les années 2000 (ce qui montre bien que les grands discours à volonté écologiste n’ont pas été suivis d’effets).
Si la transformation s’effectue de manière homogène, cela signifie que l’empreinte des transports est divisée par 8, l’empreinte du logement est divisée par 8, l’empreinte des biens de consommations est divisée par 8 etc.
Il faut dans chaque cas s’interroger sur les transformations à réaliser, la compatibilité et les contraintes qui découlent du cadre européen qui s’applique.
- Dans le secteur automobile, pour répondre à l’objectif de 1,5 tCO2eq/an/habitant, comme nous l’indiquions, la voiture doit passer d’une moyenne de ~160 gCO2eq/km à ~20 gCO2eq/km en analyse de cycle de vie (acv). Parallèlement, dans le secteur des transports, les normes d’émissions sont européennes notamment avec la réglementation « Corporate Average Fuel Economy » (CAFE) qui ne concerne que les émissions directes du véhicule (ce qui sort de pot d’échappement) avec une cible d’émissions directes de 95 gCO2eq/km. Tout d’abord, cette valeur de 95 gCO2eq/km ne couvre pas du tout l’analyse du cycle de vie et est déjà près de 5 fois supérieure à la cible de ~20 gCO2eq/km nécessaire à la transition et qui prend en compte l’ensemble du cycle de vie du véhicule. De plus, dans les faits, cette cible se différencie en fonction du poids moyens des véhicules vendus par les constructeurs en considérant que les véhicules plus lourds sont plus émetteurs et ont donc le droit d’émettre davantage. Cette réglementation européenne est donc un non sens écologique.
- Dans le secteur des énergies et utilités et en particulier la production électrique, le cadre européen impose la dérégulation et le développement d’un système ENR+gaz qui attaque la position stratégique et industrielle de la France ainsi que la sécurité énergétique du continent avec une dépendance croissante au gaz et pétrole importé. Avant la libéralisation du marché, le prix était calculé sur la base du coût total du service : de la production à la fourniture de l’électricité en passant par son transport et sa distribution. Cette démarche est particulièrement intéressante quand le système électrique est peu dépendant des énergies fossiles (pétrole, gaz, charbon) puisque peu impacté par les évolutions de leurs prix (et même de l’impact de la taxe carbone qui vient en sanctionner les usages). C’est typiquement l’idéal dans le cas français où la production électrique est largement dominée par le nucléaire qui est indépendant du pétrole et au gaz en première analyse dans la mesure où le combustible est l’uranium (et du plutonium pour le MOX). Par ailleurs, en matière d’économie, le coût de production du MWh nucléaire est essentiellement composé de coûts fixes avec une part du combustible de ~15 % du coût de production (moins de 5 % du prix aux particuliers). L’impact du marché sur les coûts variables serait de fait limité. Désormais, l’approche par le marché qui a été imposé par l’UE consiste à ce que le prix de l’électricité corresponde au coût marginal du dernier moyen de production mis en service pour équilibrer l’offre et la demande selon le schéma de “merit order” (les moyens de production contribuent à l’offre par ordre de coûts marginaux croissants : éolien solaire, nucléaire, gaz, charbon etc. et cet ordre peut être modifié typiquement quand des paramètres “extérieurs” viennent modifier les coûts marginaux). Dans le cadre d’un marché européen, la multiplication des interconnexions électrique (souvent financées comme des projets d’intérêt commun) mène à un alignement des prix de marché. L’avantage du système français parfaitement adapté à la mise en place d’un tarif régulé est donc progressivement remis en cause (l’Allemagne qui vise la domination totale se délecte de la destruction du système électrique qui découle du modèle européiste et de son mix électrique ENR+gaz). EN raison de l’interconnexion, la flambée du prix du gaz qui se répercute sur le prix de l’électricité touche l’UE mais aussi en France malgré la place de l’atome et d’une part de régulation. Pire encore, l’augmentation du prix du gaz fait que le charbon redevient plus compétitif (malgré la taxe carbone !). La conséquence de la logique de marché imposée par l’UE est donc d’une part une perte de pouvoir d’achat des ménages qui pénalise en priorité les plus modestes mais aussi une augmentation des émissions de gaz à effet de serre. Il s’agit d’un non sens écologique.
- Dans le domaine des biens et services, la relocalisation des productions pour bénéficier de l’électricité bas carbone française serait à la fois bonne pour l’écologie et pour l’emploi. Néanmoins, au sein de l’UE, cette relocalisation doit être pensée dans un cadre ultraconcurrentiel mondialisé où les droits de douane, la politique commerciale, la politique monétaires sont fixées par l’UE sous forme d’un compromis bancal pour répondre aux intérêts contradictoires de 27 économies bien différentes. Les fondamentaux de l’UE en matière de politique commerciale sont l’intensification des flux et le libre-échange, le productivisme, le consumérisme, la concurrence dure, l’extractivisme et le matérialisme. De la sorte, il n’est pas surprenant que l’UE soit la deuxième responsable de la déforestation liée au commerce international (16%) avec pour conséquence une terrible responsabilité dans les assassinats de militants écologistes. Le dogme européiste de croissance à l’échelle mondiale s’instituant en idéologie meurtrière si bien qu’il faudrait lui retirer le prix Nobel de la Paix reçu en 2012. En matière d’économie politique c’est l’idéologie allemande qui s’applique. Déclinée en France c’est la désinflation compétitive continue, la désindustrialisation et destruction des acquis sociaux qui s’impose. Maintenir la logique de développement des échanges commerciaux comme le fait actuellement l’UE va bien plus loin qu’un simple non sens écologique.
Nous pourrions continuer en développant bien d’autres ramifications pour illustrer les dépendances entre transition écologique et union européenne et l’impossibilité de penser concrètement l’une sans prendre en compte la seconde (ce qui est malheureusement le cas de 99% de la classe politique actuelle, écologistes et décroissants y compris).
Conclusion
Les compétences exclusives ou partagées de l’UE couvrent l’ensemble des dimensions matérielles de l’existence et donc l’ensemble des secteurs qui doivent être transformés en profondeur dans le cadre de la transition écologique.
De manière symétrique, organiser la transition écologique en France implique de prendre en compte un cadre européen qui agit de manière contradictoire par rapport aux lignes directrices de la transition écologique. Même si les gouvernements n’ont pas perdu toute capacité d’action en matière d’écologie au sein de l’union supranationale, les contraintes sont telles que le cadre européen ne peut être écarté de toute réflexion concrète sur la réalisation de la transition écologique.
Il est impossible de parler transition écologique sans parler d’UE.