Le nucléaire dans l’UE

Taxonomie, obligations vertes, plan de relance
Afin de pouvoir déployer des financements importants à destination de la transition écologique, l’UE met en place un système de classification établissant une liste d’activités économiques durables sur le plan environnemental. Ce système ou classification est connue sous le nom de taxonomie.
Quand il s’agit d’organiser une transition pour un monde durable, définir les activités économiques qui peuvent être considérées comme “durables” sur le plan environnemental est tout à fait essentiel. L’analyse de la durabilité est réalisée selon de nombreux critères :
- Atténuation du changement climatique
- Adaptation au changement climatique
- L’utilisation durable et la protection de l’eau et des ressources marines
- La transition vers une économie circulaire
- Prévention et contrôle de la pollution
- La protection et la restauration de la biodiversité et des écosystèmes
Trancher le respect ou non de ces critère relève de l’expertise scientifique et technique il ne s’agit en rien d’une question d’opinion (de la même manière que c’est l’Autorité de Sûreté Nucléaire qui est légitime pour dire si un réacteur est sûr).
L’intérêt de cette démarche de taxonomie est qu’une fois que les activités durables bien identifiées, il est possible de les irriguer de financement financements compétitifs pour accélérer la transition. Ces financements d’activité durables sont désignés sous l’appellation de finance verte. Dans le cas de financement par émissions d’obligations, il est question d’obligations vertes ou green bonds. Être le leader mondial de la finance verte est un objectif de l’UE.
A ce jour, si de nombreuses activités y ont été intégrées, la taxonomie n’est pas encore finalisée car les gouvernements de l’UE sont divisés sur l’opportunité d’inclure le nucléaire et le gaz comme activités vertes.
Le nucléaire exclu du plan de relance
En raison de l’importance de la crise économique faisant suite à la pandémie de covid19, un plan de relance est essentiel. Avec l’urgence climatique dans tous les esprits (d’autant plus avec les incendies et vagues de chaleurs des années 2020 et 2021, sans compter les inondations), difficile d’envisager un plan de relance ne faisant pas la part belle à l’écologie et la construction d’un monde durable.
Comme nous l’indiquions précédemment en prenant l’exemple de la réponse du G20 à la crise de 2008, les grands plans de relance qui promettent un monde durable doivent être pris avec beaucoup de réserve.
Quoiqu’il en soit, l’UE enclenche un plan de relance et y introduit la l’objectif de durabilité. En effet, les gouvernements de l’UE doivent consacrer au moins 37 % de l’argent total de leur fonds de relance à la réalisation d’objectifs verts.
Pour financer une partie du plan de relance à 800 milliards d’euros, la commission européenne va émettre des obligations vertes à hauteur de 200 milliards d’euros. Et, d’une manière très logique, l’affectation de ces financements découleront en grande partie de la taxonomie européenne (il faut bien que cela serve à quelque chose !).
Or, la taxonomie n’est pas finalisée et dans son état actuel elle ne contient pas le nucléaire (et heureusement le gaz qui est 70 fois plus émetteur de gaz à effet de serre et serait un véritable scandale). Par conséquent, il n’y a aucune surprise à ce que le nucléaire ne figure pas dans les affectations possibles du financement.
Les médias et en particulier lefigaro.fr ont focalisé l’attention (et la notre) sur la question du nucléaire suite à l’annonce du commissaire européen au budget Johannes Hahn. Ci-dessous le titre qui a été largement repris et qui a suscité de l’indignation.

Pour expliquer l’indignation face à la décision européenne, sans doute faut-il rappeler le contexte particulier de la France. Nous verrons plus loin que l’atome également une place importante Europe et que la vision ne peut être purement franco-française. Le nucléaire y est le principal moyen de production électrique, il représente l’un des principaux secteurs industriels du pays avec des employés très engagés et qui sont fiers d’œuvrer dans l’un des derniers secteurs d’excellence technique et scientifique du pays. Par ailleurs, le nucléaire bénéficie également d’un large soutien dans l’hexagone (59% d’opinions favorables) et le nucléaire en France émet très peu voire moins de gaz à effet de serre que les nouvelles énergies renouvelables que sont le solaire et l’éolien. Dès lors, difficile de ne pas réagir vivement quand ce qui apparait le plus efficace pour décarboner un système électrique et énergétique est rejeté de manière a priori irrationnel.
Le titre “Les obligations vertes de l’UE excluent le nucléaire” est factuellement vrai. Et cela apparaît comme un scandale pour qui est convaincu des avantages du nucléaire pour la transition écologique (et de notre point de vue ils sont réels, voir plus bas).
En revanche, cette décision n’est pas surprenante et s’explique par le simple fait que la taxonomie n’est pas encore achevée. La durabilité du nucléaire mise en cause par l’Allemagne et ses alliés antinucléaires fait l’objet d’analyses supplémentaires dont les conclusions doivent permettre à la Commission européenne de l’intégrer à la taxonomie en ayant recours à la procédure de l’acte délégué. Compte-tenu du processus en cours qui semble sous contrôle, le titre “Les obligations vertes de l’UE excluent le nucléaire” aurait également pu susciter une moindre réaction. Par ailleurs, si la question est de disposer de financement pour le renouvellement du parc électronucléaire français, le timing du plan de relance n’était pas le bon. En effet, il est difficile d’imaginer Macron prendre une telle décision avant l’élection présidentielle de 2022.
Compte-tenu du processus en cours, le nucléaire a donc des chances d’être intégré à la taxonomie. Ce qui est intéressant est donc de regarder de plus près ce que disent les experts concernant durabilité du nucléaire.
Par ailleurs, nous présenterons la place de l’atome dans l’UE. En effet, la taxonomie concerne le financement de moyens de production bas-carbone dans 27 États membres. Dès lors, estimer l’importance d’un financement élargi du nucléaire à l’échelle de l’union permet de mieux appréhender les conséquences qui résulteraient d‘une exclusion effective du nucléaire de la taxonomie.
Les conclusions du Centre de recherche de la Commission européenne (CCR)
La question du nucléaire, particulièrement clivante entre la France et l’Allemagne a mené la commission à solliciter son appui en expertise, le Centre de recherche de la Commission européenne (CCR) pour un avis sur la question. Un premier rapport a été publié le 19/03/2021.
Voici les conclusions majeures qui justifient l’intégration du nucléaire dans la taxonomie.

Reformulé en français, ce que dit le rapport d’experts est que les analyses n’ont révélé aucune preuve scientifique que l’énergie nucléaire nuit plus à la santé humaine ou à l’environnement que les autres technologies de production d’électricité déjà incluses dans la taxonomie en tant qu’activités soutenant l’atténuation du changement climatique. Par ailleurs, le rapport indique que l’analyse de cycle de vie montre que vis-à-vis de la santé humaine et de l’environnement, le nucléaire, l’hydraulique et autres énergies renouvelables sont tout à fait comparables.
En particulier, le rapport creuse la question des effets radiologiques pour le nucléaire. A ce propos, la conclusion est aussi sans ambiguïté.

La l’exposition du public aux effets attribuables à l’énergie nucléaire correspond à une 10 000 fois plus faible que celle qui résulte de la radioactivité naturelle. Dit autrement, l’impact radiologique pour le public est totalement négligeable.
Par ailleurs, s’il s’agit de comparer aux autres moyens de production d’électricité renouvelable et d’exclure le nucléaire sur la base de ces effets radiologiques négligeables alors il faudrait également exclure l’éolien en mer (c’est-à-dire les projets médiatisés actuellement en Normandie, en Loire-Atlantique etc.)
Évidemment, se pose l’exposition des travailleur et arrivé à ce stade c’est finalement l’interrogation la plus légitime de notre point de vue. Là encore, le rapport indique que les interventions font l’objet de mesures strictes de sécurité qui visent à réduire les doses reçues.
La place de l’atome dans l’UE
Nous n’allons pas faire un long exposé sur le mix énergétique européen. Nous savons que l’UE est extrêmement dépendante des importations en énergies fossiles pétrole et gaz en premier lieu (et que l’usage de ces énergies doit être réduit drastiquement dans le cadre de la transition).
Dans le modèle de transition vers les nouvelles énergies renouvelables imposé par l’UE, le gaz est nécessairement voué à se développer. En effet, pour équilibrer le réseau, à côté d’une éolienne ou d’un panneau solaire, il faut un moyen programmable, capable d’augmenter ou de diminuer sa puissance en fonction des évolutions de la demande. Ces grands moyens programmables sont le nucléaire, le charbon, le gaz.
Si le charbon vraiment trop sale est exclu et que le nucléaire aussi pour des raisons idéologique (nous avons vu que la science dit “nucléaire OK”) alors il ne reste que le gaz. C’est dans ce contexte que l’usage du gaz explose en Europe. Factuellement, depuis les années 2000, l’énergie qui croît vraiment dans l’UE, c’est le gaz, pas les nouvelles énergies renouvelables.
S’il faut retenir un mot pour qualifier la situation énergétique de l’UE c’est “dépendance”.
Et sur le peu d’énergie qui est produit au sein de l’UE, eurostat nous apporte la connaissance dans sa publication intitulée “Energy production and imports” (production d’énergie et importations).
Nous allons parcourir la publication en partant du graphique suivant.

Et du texte qui l’accompagne (première lecture) :

Eurostat indique que les énergies renouvelables sont la première source de production primaire d’énergie. Et que l’énergie nucléaire arrive en seconde position.
Sauf que dans les énergies renouvelable il y a une grande variété de sources : la biomasse, l’hydraulique, le vent, le solaire. Ce qui fait la une des journaux ce ne sont pas les énergies “historique” de la biomasse ou de l’hydraulique, ce sont le vent et le solaire.
Quand on dit “les énergies renouvelables sont la première source de production primaire d’énergie”, le public retient et traduit : “l’éolien et le solaire produisent l’essentiel de notre énergie”.
Alors il faut rentrer dans le détail et nous allons bien séparer les les énergies “historique” de la biomasse ou de l’hydraulique d’une part et les nouvelles énergies renouvelables (éolien, solaire) de l’autre. Cela donne le graphique annoté en tête d’article :

Contrairement à ce qu’affirme Eurostat, le nucléaire est LA première source de production primaire d’énergie de l’UE. Avec 32% de la production primaire d’énergie, le nucléaire devance de loin la biomasse et l’hydraulique 25,8% sans parler des nouvelles énergies renouvelables éolien et solaire qui représentent ensemble 7,6% de la production primaire de l’UE. Si l’on reprend la hiérarchie, les nouvelles énergies renouvelables arrivent en 5ème position après nucléaire, biomasse et l’hydraulique, charbon, gaz. L’indépendance énergétique de l’UE est faible (moins de 40%) et sur le peu dont elle dispose, le nucléaire est la composante essentielle.
Le texte qui accompagne le graphique contient d’autres information (seconde et dernière lecture) :

Le nucléaire, première source de production primaire d’énergie de l’UE, est utilisée dans 14 pays ce qui est très significatif. Actuellement, 126 réacteurs nucléaires sont opérationnels dans 14 pays européens, 4 sont en construction et 24 sont planifiés. Le nucléaire est bien installé en Europe et a même de l’avenir. Au sein de l’UE, les pays pro-nucléaires sont en plus de la France : Finlande, Suède, Hongrie, Pologne, République tchèque, Roumanie, Slovaquie, Slovénie (la Belgique nucléarisée bascule dans la sortie du nucléaire).
L’ancrage du nucléaire et ces perspectives encourageantes pour l’avenir font malheureusement face à un groupe d’opposants antinucléaire et pro-gaz : Allemagne, Autriche, Danemark, Luxembourg, Espagne.
Ainsi que le rapport le journal La Croix, suite au rapport scientifique du CCR favorable au nucléaire, par une lettre parvenue le 30/06/2021, les opposants antinucléaire et pro-gaz ont écrit une lettre indignée à la commission disant qu’intégrer le nucléaire nuirait à la confiance et à la position de l’UE comme leader de la financer durable.
Deux jours plus tard, le 2/07/2021, deux rapports d’experts supplémentaires abondaient dans le sens du rapport de mars 2021 du CCR (ils peuvent être téléchargés sur le site de la commission).
Ces rapports auraient dû se suivre d’effet et d’intégration du nucléaire par la commission via la procédure de l’acte délégué. Cela n’a pas été fait en amont de l’ouverture du plan de relance (2 mois c’est trop court ? il faut que la commission ait l’accord du conseil et du parlement) et de l’émission d’obligations vertes en octobre prochains.
Sans aucun doute, les négociations continuent entre les pro-nucléaires menés par la France et les antinucléaire et pro-gaz menés par l’Allemagne. Si les conclusions d’experts basés sur les faits scientifiques ne laissent aucun doute quand à l’intégration du nucléaire dans la taxonomie, nous imaginerons ce que signifierait pour la France et pour l’Europe une décision qui l’en exclurait effectivement.
Si le nucléaire était effectivement exclu de la taxonomie…
En prenant le contrepied des des experts, en excluant le nucléaire de la taxonomie et donc du financement vert, l’UE s’aventurerait sur un terrain extrême glissant.
Une telle décision reviendrait à considérer que les opinions valent plus que les faits scientifiques. Finalement, une posture qui serait invoquée quand il s’agit de justifier la vaccination serait totalement abandonnée quand il s’agit de justifier le financement du nucléaire dans le cadre d’une transition énergétique. Le deux poids deux mesure serait tout simplement énorme.
Pire encore. La définition d’une taxonomie à l’échelle de l’UE est dans l’esprit un rapprochement des législations de 27 États membres. En la matière, l’article 114 du TFUE stipule que la commission doit baser ses positions sur des “faits scientifiques”.

En prenant le contrepied des avis techniques et scientifique, l’UE se mettrait en écart par rapport à l’esprit de l’article 114 du TFUE.
L’exclusion effective du nucléaire de la taxonomie serait un reniement du principe fondamental qui veut que les faits scientifiques sont “au dessus” des opinions.
Le nucléaire a des avantages énormes :
- Bas-carbone
- Faibles besoins en ressources naturelles (comparé aux nouvelles énergies renouvelables c’est incroyable)
- Sûr
- Compétitif
- Programmable
- Services auxiliaires au réseau
- Évite une refonte du réseau
- Durée de vie de 60 ans voire plus de l’installation (comparé au 15–20 ans des nouvelles énergies renouvelables)
- Pas d’impact sur les métiers de gestionnaires de réseau de distribution et transport
- Durable grâce à la génération IV de réacteurs
Du point de vue français d’autres dimensions apparaissent significatives :
- Actifs stratégiques
- Potentiel scientifique et technique
- Emplois en France
- Exportation des produits français (Chine, Royaume-Uni, Finlande, demain l’Inde etc.)
- etc.
L’exclusion effective du nucléaire de la taxonomie serait une attaque directe de la France par l’UE.
Conclusion
Aujourd’hui, avec 4 réacteurs en construction de nombreux planifiés, les perspectives du nucléaire sont bonnes en Europe. Les avis scientifiques et de techniques démontrent sa durabilité si bien que le nucléaire a toujours ses chances d’être intégré à la taxonomie lui ouvrant la possibilité d’un financement avantageux par les obligations vertes européennes.
Néanmoins, si les opposants anti-nucléaire et pro-gaz menés par l’Allemagne venaient à imposer une décision dogmatique et anti-science excluant le nucléaire de la taxonomie, la blessure serait profonde dans le contexte français si particulier et constituerait un argument supplémentaire en faveur de l’urgence du Frexit.