L’austérité contre la transition écologique
Cette analyse s’inscrit dans notre dossier “Écologie : ce qui pose problème dans les traités européens”.
La transition écologique impacte l’ensemble des secteurs d’activités qui doivent être transformés de manière à atteindre au plus vite la neutralité carbone : transports, logement, biens de consommations, alimentations, services publics.
Il s’agit à la fois d’identifier les transformations à réaliser et d’estimer les besoins de financement associés. Divers montants circulent dans la littérature. L’ordre de grandeur qui ressort dépasse les 100 milliards d’euros par an sur une période d’au moins dix ans. Typiquement, un article de Connaissance des énergies intitulé “Transition énergétique : quel coût et quelles mesures prioritaires ?” présente une estimation de 145 milliards d’euros par an. Il ne s’agit-là que des besoins prioritaires : “les deux tiers pour les transports, un quart pour le secteur résidentiel et tertiaire, 7% pour les réseaux et 1,7% pour l’industrie”.
A l’incertitude du coût de la transition écologique s’ajoute l’incertitude du périmètre mais ce qu’il faut retenir est que les montants sont énormes.
Ainsi, quand à six mois de la présidentielle de 2022, Emmanuel Macron annonce un plan d’investissement de 30 milliards d’euros sur 5 ans en faveur de l’industrie il s’agit d’un montant qui peut paraître impressionnant et pourra avoir des retombées positives notamment pour la technologie nucléaire des Small Modular Reactors (SMR) où la France est en retard. Il n’en demeure pas moins que ces 30 milliards sur 5 ans représentent 6 milliards d’euros par an qui sont totalement négligeables par rapport aux besoins de la transition écologiques qui dépassent largement les 100 milliards d’euros par an, non sur cinq ans mais plus de dix ans.
Aujourd’hui, la France investit déjà dans la transition écologique à hauteur de 47,9 milliards d’euros au titre de l’année 2019 (45,7 milliards d’euros pour 2018 qui est une années moins irrégulière) dont 26,3 milliards d’euros soit 55% sont assurés par les pouvoirs publics (investissements publics en faveur du climat + cofinancements publics aux ménages et aux entreprises). Par ailleurs, ces investissements en faveur du climat sont à mettre en regard des investissements en défaveur du climat qui s’élèvent à 71 milliards d’euros pour l’année 2019, en croissance depuis 2015 qui est l’année de l’Accord de Paris sur le climat.
Deux observations majeures s’imposent :
- Les 47,9 milliards d’euros d’investissements sont très insuffisants par rapport au besoin de financement de la transition écologique, il faudrait à minima tripler ce montant pour être crédible
- Avec une proportion de 55%, le financement public assure la majorité du financement de la transition écologique en France pour l’année 2019 (en 2018, la proportion était déjà significative de 48%)
Sur la période récente, ce sont les pouvoirs publics qui soutiennent l’augmentation de ces financements. Néanmoins, le financement de la transition reste insuffisant.
Si le marché n’est pas en mesure de faire avancer la transition écologique, cela signifie que les pouvoirs publics doivent occuper une position de plus en plus importante ce qui implique, à défaut d’augmentation de la fiscalité, d’augmenter les dépenses publics et l’endettement.
Le problème que pose l’UE pour la transition écologique c’est que le rôle indispensable des pouvoirs publics est remis en cause par l’austérité institutionnelle qui découle des articles 121 et 126 du TFUE que nous analysons ci-dessous.
L’austérité comme leitmotiv de politique économique
L’article 121 du TFUE introduit les Grandes Orientations de Politiques Économiques (GOPÉ) qui constituent le programme de politique économique des États membres. La politique économique de la France est décidée au niveau européen et en particulier par la Commission qui est à l’initiative des recommandations. Pour bien comprendre et se convaincre du lien entre GOPÉ et politique française, voir l’analyse de Bjorn Stavsen sur la réforme des retraites et le plan de relance.
En plus d’avoir perdu sa liberté d’initiative dans le champ économique, la politique économique imposée par l’UE est régressive et s’attèle systématiquement à réduire les dépenses ainsi que l’endettement public comme en témoigne l’article 126 du TFUE (très long et dont nous avons sélectionner quelques éléments seulement par soucis de synthèse).
Pour un État membre de l’UE, le déficit public ne doit pas dépasser 3% du PIB et l’endettement public ne doit pas dépasser 60% du PIB. Alors évidemment en période de crise majeure comme la crise COVID qui débute en mars 2020, les règles sont temporairement suspendues via la “clause de dérogation” ce qui mène certains candidats écologistes à essayer de faire croire — mais à tort —que les traités auraient explosé et qu’il n’y aurait donc plus d’austérité.
La Commission effectue la surveillance et notifie les États membres ainsi que la Conseil si un déficit excessif est constaté ou risque de se produire. Si tel est le cas, l’État membre est enjoint d’agir. En cas d’inaction, le Conseil peut aller jusqu’à imposer des amendes à l’État réfractaire (avant la crise sanitaire, la France était menacée par la Commission d’une procédure pour déficits excessifs).
Dans le cadre de l’UE, le gouvernement perd donc toute autonomie en matière de politique économique et la trajectoire de fond est un objectif perpétuel de réduction budgétaire.
Remarque : toute autonomie en matière de politique économique à l’exception de la flexibilisation du droit du travail, de la déréglementation etc. bref du programme post libéral germano-européiste (pour plus de détail voir notre brève perspective historique de la construction européenne).
L’austérité européiste contre la transition écologique
Il apparaît ainsi une contradiction profonde entre l’austérité européiste qui découle des articles 121 et 126 du TFUE et la nécessité pour les pouvoirs publics d’augmenter les dépenses et l’endettement en faveur de l’urgence écologique (pour compenser l’incapacité du secteur privé à organiser la transformation nécessaire).
Depuis que l’UE existe, force est de constater que le dépassement de la contradiction ne joue pas en faveur de l’écologie. En effet, comme nous l’indiquions précédemment, entre 2000 et 2019, l’empreinte carbone individuelle d’un habitant de l’UE passe de 10,6 à 8,4 tonnes d’équivalent CO2 à l’année. Un rythme de baisse des émissions de gaz à effet de serre de 1%/an très éloigné du rythme qui aurait dû être mis en œuvre dès 2000 pour éviter les conséquences dramatiques du réchauffement climatique.
La synthèse proposée par l’UE est simple : entre austérité et financement de la transition écologique c’est l’austérité qui prime. Dit autrement, l’UE c’est l’austérité contre la transition écologique.