Les marchés financiers contre l’écologie
Cette analyse s’inscrit dans notre dossier “Écologie : ce qui pose problème dans les traités européens”.
La politique monétaire ne poursuit aucun objectif en matière d’écologie. La stabilité des prix est l’objectif principal qui doit être perçu dans un cadre plus général d’une politique économique qui œuvre à la croissance (verte), un marché ouvert, la concurrence libre, l’austérité. La BCE est indépendante et les gouvernements n’ont pas le droit de tenter de l’influencer ce qui se traduit par une règle d’auto-censure vis-à-vis de toute analyse critique de la politique monétaire.
Alors que les esprits s’éveillent et prennent progressivement conscience de la nécessité pour les pouvoirs publics d’augmenter les dépenses et l’endettement en faveur de l’urgence écologique pour compenser l’incapacité du secteur privé à organiser la transformation nécessaire, l’austérité budgétaire imposée par l’UE apparaît comme un obstacle supplémentaire pour la transition.
Si l’État ne peut augmenter fortement ses dépenses en faveur de la transition écologique, sans doute peut il utiliser la planche à billet ?
La réponse à cette question est prise en charge par les articles 123 et 124 du TFUE présentés ci-dessous.
La BCE et la Banque de France (dont l’existence a été maintenue malgré la création de l’euro) n’ont pas le droit de financer les pouvoirs publics. L’État est obligé d’emprunter sur les marchés sans aucun privilège ce qui augmente les coûts du financement. La planche à billet est donc interdite par les traités européens et en particulier l’article 123 du TFUE.
Pour répondre au besoin de financement estimé à 100 milliards d’euros par an sur plus de dix ans, l’État va donc devoir se tourner vers les marchés financiers. Il faut bien avoir en tête les ordres de grandeur et la répartition correspondante entre secteur public et privé. En 2019 (dernière année “normale” en date), l’investissement dans la transition énergétique (une sous composante de la transition écologique donc) s’est élevé à 47,9 milliards d’euros dont 22 milliards d’euros soit 45% seulement assurés par le privé (proportion en baisse par rapport à 2018 d’ailleurs). Au sein de l’UE, le marché qui est libre n’a permis qu’une baisse de 1% par an des émissions de gaz à effet de serre pendant une période de 20 ans. Le complément de financement pour atteindre le 100 milliards sera à chercher essentiellement du côté du secteur public qui compense l’incapacité du marché. Ce complément s’élève à 78 milliards d’euros soit environ 50 milliards de plus que l’investissement public actuel. Comme nous le faisions remarquer, ce montant concerne la transition énergétique qui n’est qu’une composante de la transition écologique. Les montants à mobiliser sont encore plus élevés. Pour la transition écologique, annuellement c’est l’équivalent de la contribution française au plan de relance européen qu’il faut aller chercher ! Quelle sera le comportement des marchés financiers face à un État qui augmente sa dette de plus de 4% du PIB par an pendant 10 ans ? Aujourd’hui, l’endettement public s’élève à 114,9 % du PIB. En 2031, hors récession (qui augmenterait le ration endettement sur PIB) et autres chocs, l’endettement atteindrait au moins 160% du PIB. Dans l’intervalle, l’évolution ne serait probablement pas linéaire et il est fort à parier que les taux d’emprunts exploseraient ce qui renchérirait le poids des intérêts et le besoin d’austérité pour assurer un minimum d’équilibre budgétaire qui, rappelons-le, est imposé par l’UE. Dans cette trajectoire, il faut bien voir le risque d’instabilité financière croissant lié à une explosion de l’endettement. Encore une fois, il apparaît une contradiction profonde entre les besoins de la transition écologique et le cadre européen. Le financement de l’État et des administrations publiques sur les marchés financiers n’est pas adapté à la situation. L’article 123 indique néanmoins que l’établissement public de crédit Bpifrance peut bénéficier du financement de banque centrale. Bpifrance pourrait donc sauver la transition ? Il ne faut pas rêver : son bilan est fortement limité par ses fonds propres restreints du fait des contraintes budgétaire imposées à l’État par l’UE. Sa capacité de financement et ses ressources humaines et techniques sont bien insuffisantes. Tout cela nous renvoie encore une fois à l’analyse intitulée “L’austérité contre la transition écologique”.
Pour finir, l’article 124 stipule comme “interdite toute mesure, ne reposant pas sur des considérations d’ordre prudentiel, qui établit un accès privilégié […] des administrations centrales, des autorités régionales ou locales, des autres autorités publiques ou d’autres organismes ou entreprises publics des États membres aux institutions financières.”. Même si l’État français est reconnu pour sa capacité à lever l’impôt et qu’il y a peu de doute sur sa continuité, les banques doivent appliquer une logique de marché et n’assurent aucun financement préférentiel. Cette réflexion peut être prolongée au vue de la rentabilité des investissement de la transition écologique. L’objectif du secteur privé est le profit contrairement au secteur public. Or, l’écologie coïncide plus souvent à une réduction des marges et du profit. Le financement par les banques commerciales, insuffisant à la base comme nous l’avons vu, est déjà problématique pour le climat : elles soutiennent une domination des investissements fossiles (71 milliards en 2019, dont près des deux tiers pour les voitures particulières) et pourraient ne pas assurer du tout les investissements écologiques à faibles rentabilité.
Conclusion
Au sein de l’UE et de l’euro, la France n’est pas en mesure de financer à tour de bras la construction des infrastructures bas-carbone de demain. La règle est le financement sur les marchés financier mais les montants nécessaires à la transition écologique sont incompatibles avec les principes austéritaires des traités européens. Un endettement d’une telle ampleur sur les marchés augmenterait le risque d’instabilité financière. Le financement par la Banque centrale apparaît comme le meilleur moyen de répondre à l’urgence écologique.
Le cadre européen pose une difficulté supplémentaire dans la mesure où l’euro doit répondre aux besoins hétérogènes de 19 pays de la zone euro. Le besoin de financement de la transition écologique est une chose mais il faut également prendre en compte le modèle social la compétitivité de l’économie nationale. De ce point de vue, un ajustement de la politique monétaire de l’eurozone se heurte au dilemme de l’action face à l’immobilisme des compromis improbables. Face à l’urgence climatique et écologique, la meilleure option est celle d’un retour au Franc écologique.