Une brève perspective historique de l’euro
Cet article s’inscrit dans la brève perspective historique de la construction européenne publiée précédemment par Frexit Écologique. Il est composé en trois parties :
- Genèse et mise en place de l’euro
- Principes et fonctionnement de l’euro
- Fragilité et crise de l’euro
Les analyses dédiées au lien entre politique monétaire et écologie sont également disponibles dans notre dossier “Écologie : ce qui pose problème dans les traités européens” (articles 119, 123 et 124, 130 du TFUE).
Genèse et mise en place de l’euro
L’idée d’union monétaire européenne s’affirme à la fin des années 1960 avec le plan Werner. Pierre Werner est un homme d’État luxembourgeois dont l’engagement européen s’inscrit dans celle des pères fondateur. En effet, il s’engagea aux côtés de Jean Monnet dans le Comité d’action pour les États-Unis d’Europe. Créé à Paris le 13 octobre 1955, le Comité rassemble des responsables syndicaux et des chefs des partis politiques démocrates-chrétiens, libéraux et socialistes de l’Europe des Six. Il s’agit d’un groupe de pression dont l’objectif est d’aboutir à une construction fédérale européenne et pas une simple coopération entre gouvernements. Pierre Werner sera d’ailleurs membre fondateur de la Fondation Jean Monnet pour l’Europe qui promeut la recherche académique sur l’Europe et peut être considéré comme un organe de propagande européiste. Pierre Werner est un homme politique de premier plan puisqu’il occupe les postes de ministre des Finances puis président du gouvernement du Luxembourg. Dans le sillage du sommet européen de La Haye de 1969 et du plan Barre de 1970, il se vit confier en mars de la même année, à la demande du Conseil de la Communauté économique européenne (CEE), la présidence d’un groupe spécial d’études. Celui-ci était chargé de l’établissement d’un plan par étapes de l’union économique et monétaire (UEM). Le travail de ce groupe aboutit au rapport Werner, présenté le 8 octobre 1970 à la Commission européenne et aux Gouvernements des États membres. Dans le processus de la construction européenne, ce rapport présentait une avancée majeure en matière de politique monétaire en prévoyant un transfert de responsabilités des États membres vers la Communauté européenne. Néanmoins, ce projet intergouvernemental auquel participait la Commission mais pas les banques centrales nationales était bien trop vague pour pouvoir se réaliser. De plus, l’hostilité allemande et notamment de la Bundesbank s’avérait rédhibitoire.
Idée de fusion des monnaies européenne (franc et mark essentiellement) a déjà été soulevée par Pompidou en 1969 et Giscard en 1978. Mais l’Allemagne (dont les élites ont une compréhension bien plus avancée des déséquilibres monétaires européens et avantages des monnaies flexibles) se montre réticente.
Un nouvel élan pour la mise en place de l’union monétaire se produit quand Jacques Delors préside la Commission européenne (1985–1989). Le 28 juin 1988, le Conseil européen de Hanovre confié à un comité d’experts (banquiers centraux, universitaires etc.) présidé par Jacques Delors, la mission d’étudier et de proposer les étapes concrètes devant mener à une Union économique et monétaire (UEM). Le comité d’expert appelé “Comité Delors” rend son rapport en 1989 et propose la création d’une monnaie unique. Les britanniques, réservés, propose un projet alternatif d’une monnaie panier mais le “Comité Delors” veut aller plus loin dans le sens d’une intégration monétaire avec la création d’un Système Européen de Banque Centrales (SEBC) constitué des Banques Centrales Nationales (BCN) et d’une Banque Centrale Européenne (BCE) filiale des Banques Centrales Nationales (c’est le cas actuellement).
L’Euro émerge finalement dans un contexte multiple de chute du mur de Berlin, de réunification de l’Allemagne Imposée par les États-Unis, trop confiant de leur surpuissance dans le contexte d’effondrement de l’URSS, qui n’imaginaient pas de retour de la puissance allemande et sa domination de l’Europe en 25 ans. Dans une dimension plus psychologique, Emmanuel Todd ajoute le stade terminal de la déchristianisation en France où les populations de la périphérie française cherchent un nouveau dieu qu’ils trouveront dans l’euro. L’Allemagne (d’Helmut Khol) qui se montrait réticente change alors d’avis ce qui débloque la situation.
Les élites française abordent la mise en place de l’euro avec trois objectifs plus ou mois avouables. Tout d’abord, il s’agit pour la France de maîtriser l’Allemagne : la position diplomatique historique de la France depuis XVIIe siècle est de maintenir l’Allemagne divisée : depuis unification de la Prusse 2 guerres de perdues sur 3… avec l’euro, les bureaucrates français espèrent maîtriser l’Allemagne. Il s’agit finalement d’enrayer le déclin politique et économique de la France en s’arrimant à la puissance de l’Allemagne de l’ouest. Puis, de maîtriser l’économie : François Mitterrand qui est élu en 1981 doit faire face au défis de l’inflation incontrôlée : les prix augmentent augmentant de 12 à 14% par an. Dans cette période, la France procède à trois dévaluations du Franc : 1981, 1982 et 1983. Mais la dévaluation est assimilée à de la mauvaise gestion tandis qu’une monnaie forte exerce une contrainte positive qui force l’industrie à se moderniser pour compenser le coût du travail. L’Allemagne est l’exemple de bonne gestion économique des élites françaises. De plus, dans les années 1980, le discours dominant est que les politiques ne doivent pas se mêler d’économie. Enfin, à la frange du complotisme, de maîtriser le peuple français : le camp de l’opposition décrit clairement en quoi “l’engrenage politique et économique” de Maastricht mène à un fédéralisme antidémocratique. La souveraineté nationale de 1789 qui est l’essence même de la démocratie est remise en cause.
Les années 1980 ne sont pas seulement les années du comité Delors et la fabrication d’un consensus sur la monnaie. Une nouvelle phase d’intégration européenne s’amorce avec l’Acte unique européen signé en 1986 qui ouvre la voie au traité de Maastricht de 1992 qui fonde l’Union européenne avec cette fois étendue à 12 pays signataires (Allemagne de l’Ouest, France, Italie, Pays-Bas, Belgique, Luxembourg, Danemark, Irlande, Royaume-Uni, Grèce, Espagne, Portugal). L’Acte unique insiste sur la réalisation du marché intérieur pour la fin de l’année 1992 et l’unification des politiques économiques et monétaire. L’acte unique est une véritable montée en puissance du pouvoir supranational puisque le vote à la majorité qualifiée s’applique désormais à des composantes essentielles de la politique économique et commerciale : tarif douanier commun, libre circulation des capitaux, libre circulation des services, transport maritime et aérien.
En 1992, 12 dirigeants européens signent donc le traité de Maastricht avec la création de l’union économique et monétaire. Avec mise en place en moins de dix ans. En France, le projet est approuvé par une courte majorité assurée par un vote oui à 70% chez les cadres et professions intellectuelles supérieures, 57% chez les professions intermédiaires et 55% chez les retraités. A l’échelle du territoire ce sont néanmoins 53 département qui disent non contre 43 pour le oui. Dans un système à l’américaine, corriger les déformations du vote liées aux cultures régionales aurait mener à une victoire du non. Finalement, ce sont les régions déchristianisées tardivement (cultures hiérarchiques à tendance unanimiste en quête d’un nouveau dieu) qui étaient également les bastions d’opposition au Front populaire qui votent oui. Lors de la campagne, les avantages mis en avant pour l’euro sont plus emploi, plus exportations, plus d’investissements français, des économies de transactions etc.
L’Allemagne, très attachée à sa monnaie, accepte l’euro mais à ces conditions. L’objectif de la politique monétaire sera la stabilité des prix contrairement à la FED qui vise l’emploi et la croissance en plus de la stabilité des prix. De plus, la BC sera indépendante. Avec l’euro, la lutte contre l’inflation prend le pas sur les autres objectifs économiques (et écologique, comme nous le montrons dans notre dossier “Écologie : ce qui pose problème dans les traités européens”). Les allemands construirons donc l’euro à l’image du Mark. L’euro devient ainsi un instrument de la puissance allemande. Les objectifs des élites française de maîtriser l’Allemagne et de maîtriser l’économie grâce à l’euro ne sont pas atteints. En revanche, l’indépendance de la BCE (qui répond à l’idéologie dominante des années 1980 qui est que les politiques ne doivent pas se mêler de l’économie) abolit une composante démocratique majeure qu’est la souveraineté monétaire. Le président de la BCE et le conseil des gouverneurs décident de tout. Maastricht enlève le pouvoir des États sur la monnaie.
L’euro est une fusion des monnaies nationales : il est donc nécessaire de faire converger les économies des États membres avec une maîtrise de l’inflation, du déficit public, de la dette publique. Pour prouver à l’Allemagne que la France est digne de confiance, les élites française activent dès 1992 une politique de contrainte économique et de réduction budgétaire qui mène rapidement à des difficultés économiques puisque de 1993 à 1998 le taux de chômage dépasse les 10%. Chirac, élu en 1995 sur la promesse de justice sociale fait volte-face via et s’attaque finalement aux retraites des fonctionnaires et à la Sécurité sociale via le plan Juppé. Un mouvement de grève se déclenche qui fait reculer le gouvernement. Il faut attendre 1997 pour que le chômage baisse à nouveau.
La BCE est créée en 1998 et, le 1er janvier 1999, la France entre dans l’euro.
Principes et fonctionnement de l’euro
Concepts théoriques
Dans les économies modernes, la monnaie n’est plus gagée sur l’or ou un métal précieux. La seule chose qui confère une valeur à la monnaie est le peg ou l’existence d’un cour légal et forcé dans une juridiction qui est généralement un État de droit, d’une économie avancée etc.
La monnaie centrale est définie comme une dette à vue de la BC à caractère autoréférentiel (qui n’aurait aucune valeur en l’absence d’une reconnaissance institutionnelle de son cour légal et forcé). “à vue“ signifie à première réquisition contrairement à “à terme”. Il y a un cas où le caractère autoréférentiel ou la “circularité” est acceptée et acceptable : le billet c’est-à-dire une reconnaissance de dette signée par la BC. Celui-ci ne peut pas être refusé comme moyen de paiement (à quelqu’un qui présente une reconnaissance de dette à la BC, celle-ci peut lui redonner la même reconnaissance de dette).
Il y a plusieurs composantes de la monnaie centrale (qui sont interchangeables) :
- les billets (composante anonyme et physique) mais pas les pièces qui sont des créances à vue sur le Trésor
- les comptes à vue des banques commerciales à la BC, du gouvernement, les dettes de BC à BC dans la zone euro (nominative et électronique)
La mandat de la BCE comprend l’objectif de stabilité des prix. Pour ce faire, il y a deux moyens de base qui sont mutuellement exclusif (le premier est le plus important “sacralisé”) :
- le contrôle du taux d’intérêt de court terme (opérations à 1 jours, 1 semaine etc.) : agit sur la valeur courant mais aussi sur les anticipations sur sa valeur future (intégrant les risques de liquidité, de crédit, de re-nomination). La communication de la BC sur ce taux est essentielle car elle influence les attentes et comportements des acteurs économiques (on parle de Mécanisme de Transmission de la Politique Monétaire). En temps de crise, la transmission de la politique monétaire est mal définie.
- le contrôle de la base monétaire
Il y a trois types de BC : le type vertueux (Bundesbank, BNS, DNB) qui met l’accent sur le contrôle de la base monétaire M0 et applique les préférences suivantes sur la structure de son bilan, le type moins vertueux qui va s’éloigne de la structure du bilan vertueux en achetant des obligation, la Federal Reserve des États-Unis qui a le privilège d’émettre la monnaie du monde et bénéficie des avantages des deux types précédents (acheter des obligations sans que cela impacte la valeur de la monnaie).
Pour les BC vertueuses, l’idéal est la créance nantie (quand une BC prête à une banque commerciale avec un gage).
Spécificités de l’euro
Le Système Européen de Banques Centrales (SEBC) composé de la BCE et des BCN est défini par les articles 282, 283 et 284 du Traité sur le Fonctionnement de l’UE (TFUE). Le SEBC est dirigé par les organes de décision de la BCE que sont le directoire (un président, un vice-président et de quatre membres nommés pour un mandat de 8 ans non renouvelable), le conseil des gouverneurs (membres du directoire et des gouverneurs des BCN des États membres de la zone euros) et le conseil général (président et du vice-président de la BCE, des gouverneurs des BCN des États membres de la zone euro et des gouverneurs des BCN des États membres qui n’ont pas l’euro). Le SEBC respecte les règles définies par les articles 119 à 133 ainsi que du protocole n°4 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union européenne (TFUE). Ainsi, l’article 119 consacre l’objectif de stabilité des prix, l’article 121 instaure les grandes orientations de politiques économiques et une exigence d’austérité systématique, l’article 123 interdit le financement monétaire c’est-à-dire la planche à billets, l’article 124 indique que les administrations publiques ne peuvent bénéficier d’aucun financement privilégié de la part des banques, l’article 125 introduit des possibilités de dérogations aux articles 123 et 124 mais au travers d’une procédure lourde à l’initiative de la commission européenne (suivi d’une validation du Conseil européen et une consultation du parlement), l’article 126 précise les critères de stabilité de 3% du PIB pour le déficit public et 60% pour la dette publique qui, s’ils sont dépassés, peuvent mener à la procédure concernant les déficits excessifs (les valeurs de 3% et 60% sont précisées dans le protocole n°12). La logique même de l’union économique et monétaire est de lutter contre les dépenses publics. Cela a empêché la France de dépenser dans le secteur public pendant des décennies. Enfin, l’article 130 qui introduit la fameuse indépendance de la BCE.
La zone euro est constituée de 19 États membres qui sont autant de juridictions. Dans l’euro, il y a en fait 19+2 espèces de monnaies centrales. Plutôt que de parler de monnaie commune ou de monnaie unique, pour l’euro il est plus rigoureux de parler de “faisceau de monnaies homonymes, liées par un peg” (peg de 1 pour 1).
- Les créances à vue sur les 19 BCN (Banque de France, Bundesbank, Banque d’Espagne etc.)
- Les créances à vue sur la BCE
- Les billets (qui ont cour légal dans les différents États membres et doivent être acceptés par chacune des banques centrales et en étant en mesure de les convertir en monnaie nominative et électronique ce qui peut mener à une situation étrange où une banque centrale nationale se retrouve avec un stock négatif de billets)
L’Allemagne est le pays qui met le plus de billets physiques en circulation (les billets physiques sont différents des pays statutaires qui sont émis en proportions de la part du pays dans le capital de la BCE). En fonction des pays, le comportement est différent : si le nombre de billets physiques augmente en Allemagne tout au long de la période, c’est l’inverse en Espagne tandis qu’en France après une période de stabilité, le nombre de billets physiques commence à augmenter. Le fait de stocker des billets peut être une manière de se prémunir contre une sortie du pays de la zone euro.
Les TARGET balances vont également créer des créances entre banques centrales. Dans l’exemple ci-dessous d’un virement transfrontalier : la Banque de France n’a pas de compte chez la Bundesbank (et inversement), elle ne peut donc pas la payer mais elle lui reconnait une dette.
En réalité, les dettes/créances entre BCN sont remplacées par des dettes/créances BCN/BCE. Algébriquement cela revient au même mais pas en termes de répartition du risque. Cette situation va avoir un impact important en cas de sortie d’un État membre de la zone euro.
Au début de l’euro, l’argent gagné par les exportations allemandes était prêté par les banques allemandes dans les pays du Sud si bien que le solde TARGET2 était globalement à l’équilibre. Après Lehman Brothers et la crise, le marché interbancaire s’effondre si bien que le mécanisme d’équilibrage précédent disparaît. De plus, dans la perspective d’un risque d’explosion de la zone euro, l’argent migre vers les pays du Nord et donc de l’Allemagne. De la sorte, la Bundesbank se retrouve en 2012 avec près de 900 milliards d’euros de créances non remboursables. Cela pose évidemment un gros problème à l’Allemagne.
En faisant la sommes des billets et des TARGET balances, il est possible de calculer la position qu’aurait une BCN quittant l’euro vis-à-vis du reste de l’eurosystème. La position serait à régler comme l’indique fermement Mario Draghi dans sa lettre du 18 janvier 2017 à l’attention des députés européens italien Mr Valli and Mr Zanni : “Si un pays devait quitter l’Eurosystème, les créances ou engagements de sa banque centrale nationale vis-à-vis de la BCE devraient être intégralement réglés.”
En cas de sortie, l’Italie devrait payer 650 milliards d’euros à l’eurosystème, l’Espagne 400 milliards d’euros et la France 200 milliards d’euros (contre près de 100 milliards d’euros en 2013). A contrario, si l’Allemagne, les Pays-Bas et le Luxembourg sortaient de l’euro, il faudrait les payer ! Pour l’Allemagne, l’eurosystème devrait trouver 200 milliards d’euros.
En septembre 2008, le marché monétaire interbancaire décède. Il s’agit d’un risque létale pour le système bancaire mondiale. Les banques centrales réagissent immédiatement par des injections de liquidités énormes pour se substituer au marché interbancaire. Ces mesures d’urgences doivent être temporaires.
Fragilité et crise de l’euro
La zone euro n’est pas une zone monétaire optimale
L’économiste Robert Mundell a théorisé la notion de zone monétaire optimale qui donne une feuille de route aux partisans de la monnaie unique. La notion de zone monétaire optimale repose sur la réalisation de trois critères empiriques :
- Mobilité des travailleurs
- Harmonisation des politiques fiscales et sociales
- Possibilités de transferts financiers entre les pays
Avec la mobilité des travailleurs, l’objectif est de réduire les hétérogénéités de taux de chômage. Les travailleurs des zones sinistrées se déplaçant vers les zones les plus dynamiques pour trouver de l’emploi. En comparaison des États-Unis, les travailleurs bougent peu au sein de l’UE tout simplement en raison de la barrière de la langue. Aux États-Unis, “tout le monde” parle anglais, au sein de l’UE la réalité est tout autre. Concernant la mobilité des travailleurs, il faut mentionner les efforts des institutions européennes et notamment de la CJUE pour affaiblir les syndicats, favoriser la liberté économique sur les droits sociaux. Les plus mobiles sont les travailleurs qualifiés des pays pauvres. La crise de 2008 et ces conséquences en Europe ont enclenché une fuite des cerveaux des pays du Sud vers les pays du Nord au premier rang desquels, l’Allemagne. L’extrait suivant date de 2013 mais cette fuite des cerveaux grecs est toujours d’actualité.
L’harmonisation des politiques fiscales et sociales est très loin d’aboutir. Du point de vue des salaires, les disparités sont énormes au sein de l’UE et au sein de la zone euro. Quand le salaire minimum est de 500 € par mois en Lettonie il est de 2257 € au Luxembourg.
De même, le taux d’imposition des bénéfices des entreprises est très variable d’un pays à l’autre de l’UE et de la zone euro. Il dépasse les 30% en France quand il est proche de 10% à Chypre.
Les possibilités de transfert financiers entre les pays fait référence à la mise en place d’un budget européen qui permettrait de compenser les régions impactées, lorsque, par exemple, des usines ferment en France au bénéfice de l’Allemagne. Le budget commun permettrait donc une solidarité intra-européenne.
La situation dans la zone euro est donc une moins-disance sociale et fiscale associée à une mobilité du capital mais pas de mobilité des travailleurs et l’absence de mécanismes de solidarité. Aucun des trois critère empiriques de Mundell n’est vérifié si bien que l’union monétaire est fondamentalement fragile. Pourtant, les mises en garde existaient de puis les années 1970 avec plusieurs rapports qui indiquait le danger pour un pays de perdre sa souveraineté monétaire, que l’union monétaire n’avait pas de sens sans union politique et qu’il était nécessaire de prévoir un budget commun important. Tout cela n’a jamais été pris en compte.
L’euro et la spirale délétère de la dévaluation interne
L’euro est un faisceau de monnaies homonymes, liées par un peg de 1 pour 1. Il a donc mené à la suppression des taux de change et donc les gouvernements sont dans l’incapacité de dévaluer leur monnaie pour améliorer la compétitivité prix dans l’espoir de favoriser les exportations.
Avec l’euro, à défaut de dévaluation externe, la seule solution est la dévaluation interne qui consiste à améliorer la compétitivité prix en jouant sur le coût du travail. Quand plein de pays mettent en œuvre cette stratégie de dévaluation interne, c’est la demande qui s’effondre. L’UE aggrave cette tendance avec la logique systématique de réduction des dépenses publiques qui découle des articles 121 et 126 du TFUE . Or, la demande c’est la croissance. Donc l’activité économique s’effondre. Conformément au vote de Maastricht, le projet européen est un projet des élites contre le peuple puisqu’au nom de l’euro, ils acceptent la moins-disance sociale, une baisse de croissance et une hausse du chômage.
La stratégie de dévaluation interne mise en place en Allemagne via les lois Hartz au début des années 2000 a été prise comme exemple dans l’ensemble de la zone euro et en particulier en France. La stratégie pour la France serait donc de suivre l’Allemagne et de détricoter son modèle social pour faire baisser le coût du travail. Sauf que les chiffres disent le contraire. Le coût du travail est le coût moyen du travail par unité produite. D’après la l’OCDE, le coût du travail en France serait plus faible qu’en Allemagne.
Par ailleurs, d’après Banque de France, le coût du travail en France a baissé de 14% par rapport à l’Allemagne depuis 2007. La perte de compétitivité coût par rapport à l’Allemagne a d’ailleurs été intégralement effacée depuis 2010.
Ces données permettent de conclure que le problème de l’industrie en France n’est pas le modèle social et infirme les positions dogmatiques qui refuseraient des hausses du salaire minimum sur fond de compétitivité coût. Le sujet n’est pas là.
Alors comment expliquer l’extraordinaire succès à l’exportation de l’Allemagne qui frôle les 200 milliards d’euros même en 2020 avec l’année du COVID ?
Une explication avancée fréquemment concerne la gouvernance des entreprises : la fameuse cogestion allemande qui aurait le mérite d’un meilleur consensus entre travailleurs et patronat et qui serait plus démocratique. Néanmoins, ce système de gouvernance aurait peu d’influence sur le processus de délocalisation.
Dans l’analyse des coûts à l’exportation, plusieurs paramètres sont classiquement mis en avant : la compétitivité prix, la compétitivité hors prix, la demande adressée et la conjoncture. La Banque de France décompose la répartition entre ces trois paramètre pour les exportations réelles de biens et servies de 2000 à 2014.
“Le rôle des prix et des autres facteurs dits hors-prix, tels que la qualité ou l’image de marque, sont communément mis en avant dans l’analyse de la compétitivité à l’exportation. L’internationalisation croissante de la production au sein des chaînes de valeur mondiales renforce toutefois la dépendance du prix des exportations à l’évolution des prix des importations intermédiaires utilisés dans leur production. En tenant compte de ce phénomène, ce bulletin montre que les secteurs non résidents sont déterminants dans l’évolution des coûts des exportations, expliquant par exemple environ trois quarts de leur croissance en France. Ainsi, dans l’évolution de la compétitivité, les facteurs nationaux peuvent peser comparativement moins que ceux externes, qui sont pourtant subis. Dans ce contexte, la compétitivité prix se révèle déterminante pour les États-Unis tandis que celle hors-prix l’est davantage pour la Chine ou l’Espagne. Enfin, les deux effets, prix et hors-prix, se compensent pour la France ou le Royaume-Uni.”
Pour l’essentiel, la compétitivité française à l’exportation est donc déterminée par des raisons structurelles ce qui implique d’analyser l’intégration de l’économie française dans le cadre international et en premier lieu européen. Cela pose donc directement la question du rôle de l’euro dans la délocalisation et désindustrialisation.
L’euro et la désindustrialisation
Depuis des décennies, la désindustrialisation occupe une place importante dans le débat public. Et pour cause, la part de l’industrie dans le PIB français est passée de près de 30% dans les années 1960–1970 à près de 15% aujourd’hui. L’emploi industriel est également en chute libre en France.
L’industrie est fondamentale car elle garantit de l’emploi, une certaine indépendance vis-à-vis de l’étranger et donc une contribue de manière essentielle à la souveraineté française. De plus, sa disparition dans les territoires se traduit par un effet d’entraînement avec la disparition d’un ensemble d’activités de services associées si bien qu’il s’agit d’un véritable effondrement local. Le chômage tue entre 10 000 et 14 000 personnes par an et s’accompagne graves problèmes pour les personnes concernées : perte de sociabilité, addictions, maladies cardiovasculaire etc. Au titre de l’année 2017, les exportations françaises s’élèvent à 719 milliards d’euros. Avec un chiffre d’affaire à l’exportation de 464 milliards d’euros, l’industrie représente 65% de la valeur exportée. L’industrie représente ainsi près des deux tiers des exportations et joue un rôle important pour limiter le déficit de la balance commerciale (la sortie des énergies fossile serait excellente dans cette perspective).
Lutter contre la désindustrialisation est donc fondamental mais encore faut-il en comprendre les causes. La série de reportages de Salomé Saqué dédiés à l’euro sont d’une grande aide pour résumer les causes structurelles.
- La géographie et les économies d’échelle : Le principe des économies d’échelles est que plus activité est centralisée et plus elle est efficace. Cet effet d’échelle se retrouve au niveau des infrastructures majeures du commerce international que sont les ports. C’est ainsi que les principaux ports européens se retrouvent concentrés sur 500 kilomètres en mer du Nord. Le Pays-Bas, la Belgique et l’Allemagne sont ainsi directement connectés au commerce international en direction de l’Asie et l’Amérique via les ports de Rotterdam, Anvers, Hambourg et Amsterdam. Comme le montre la carte ci-dessous, ces ports sont reliés à un arrière-pays développés et industriel via des voies de navigation (fleuves et canaux) sans compte les grands axes autoroutiers. La France métropolitaine qui est peu intégrée à ces circuits est pénalisée. C’est évidemment encore pire pour les pays du Sud de l’Europe.
- L‘absence de barrières protectrices : Comme indiqué dans la première partie de cette brève perspective historique de l’euro, l’Acte unique européen introduit les 4 libertés : bien, capitaux, services, hommes. Puis, avec Maastricht, l’UE devient un grand marché intérieur. Il faut harmoniser et défaire les mesures protectionnistes notamment les marchés publics. En libérant le capital et remettant en cause la place des services publics, l’intégration européenne remet en cause des barrières protectrices essentielles. En supprimant l’adaptation des taux de change, l’intégration monétaire européenne a démultiplié l’intensité des forces de désindustrialisation.
- Une monnaie inadaptée à la compétitivité française : l’euro est un faisceau de monnaies homonymes avec un peg de 1 pour 1. L’annulation du risque de change est une sécurité supplémentaire pour les investisseurs et un frein en moins à la liberté de circulation des capitaux. La promesse européenne était davantage de croissance grâce au décloisonnement de l’épargne. Les excédents allemands deviendraient des investissements dans l’appareil productifs espagnol. S’en suivrait des hausses des productivité et de salaires .etc. Décloisonner les épargnes nationales ouvrait la perspective d’accroître l’ampleur de ce cercle vertueux. La réalité s’est avérée bien éloignée des promesses : avant la crise de la zone euro, les investissements allemands ont nourri une bulle spéculative espagnole (la période pendant laquelle les TARGET balances sont environ à l’équilibre). Pire encore, la consommation a crédit en Espagne s’est dirigée vers des produits de plus en plus importés ce qui a desservi l’industrie locale. La polarisation initiale de la zone euro a donc été aggravée. Le FMI estime que l’euro est sous évalué de 18% pour l’Allemagne et sur évalué de 6% pour la France. Il s’agit d’un écart de 24% en faveur de l’Allemagne. Par la nature même de l’euro, le déficit de compétitivité prix est incontournable. Les responsables politiques ont donc été aveuglés par leur engagement européens (en particulier les socialistes qui sont à l’origine de l’accélération de l’intégration européenne dans les années 1980 et ironie sur sort, se retrouvent déchirés face à la coalition de Nouvelle Union Populaire Écologique et Sociale menée par FLI…). L’intégration européenne et l’euro ont accentué les avantages et inconvénients des industries régionales et nationales qui dépendant eux-mêmes de conditions spécifiques (importance de l’industrie, situation géographique, infrastructure, intégration dans le commerce international etc.).
C’est ainsi que l’intégration européenne et l’euro conduisent à une désindustrialisation massive en France, en Espagne, en Italie, en Grèce, au Portugal, au Royaume-Uni tandis que les pays du Nord au premier rang desquels l’Allemagne et les Pays-Bas résistent et ressortent gagnants.
Il existe évidemment des nuances régionales au sein des États membres. Néanmoins, le constat est une concentration de l’industrie vers l’Europe centrale entre 2008 et 2016 et une désindustrialisation des régions périphériques dont la France.
Crise de l’euro
C’est pendant les crises que les institutions révèlent leur vraie nature. C’est particulièrement vrai à l’occasion de la crise de la zone euro qui sévit dans les années 2010.
En 2008, l’Espagne et l’Irlande ont vécu une crise immobilière comme les États-Unis. Le graphique ci-dessous montre l’augmentation fulgurante de la valeur du capital privé (y compris immobilier) en Espagne après l’entrée du pays dans la zone euro et l’explosion de la bulle en 2009 (le graphique montre l’explosion de la bulle aux États-Unis en 2007).
Toujours dans le cas de l’Espagne il est intéressant de voir l’évolution des actifs et passifs étrangers en fonction du temps : dégradation de la position nette quand après Maastricht il s’agit de préparer l’entrée dans l’euro, aggravation de la situation à partir des années 2000 et l’entrée dans l’euro. La position nette négative est symptomatique d’un endettement important et rapide et un mouvement de l’épargne des pays riches (Allemagne, Autriche, Pays-Bas) vers l’Espagne et Irlande.
La crise financière se traduit par une crise bancaire : les banques ne se font plus confiance. Elles ne se prêtent plus sur le marché interbancaire si bien que le risque est une faillite en chaîne du système bancaire et de l’économie mondiale. Face au risque systémique, la Banque Centrale est en devoir d’agir. C’est ce que décidera rapidement la FED aux États-Unis qui abaisse sont taux directeur pour permettre le refinancement des banques commerciales. A contrario, la BCE imprégnée du dogme allemand d’indépendance et de lutte contre l’inflation met du temps à agir. D’ailleurs, alors que la crise se développe, la BCE augmente le taux directeur plutôt que de l’abaisser (3 juillet 2008). Il faut attendre octobre 2008 pour une baisse du taux directeur. L’objectif de stabilité des prix de la BCE mène à agir trop peu et trop tard. En octobre 2009, l’Europe découvre que la Grèce est bien plus endettée que prévu et au bord de la faillite. George Papandréou doit s’expliquer devant l’eurogroupe. La BCE, la Commission et le FMI se regroupent en mars 2010 pour former la Troïka qui va prescrire et mettre en œuvre les plans de sauvetages des économies les plus touchées de la zone euro. Le président de la Bundesbank Jens Weidmann s’oppose au rachat de la dette grecque par la BCE. C’est ainsi que début mai 2010, un plan de sauvetage se dessine pour la Grèce : 110 milliards en échange d’une cure d’austérité et de privatisations qui marqueront les esprits et mènera à des tensions extrêmes au sein de l’Europe. En particulier un sentiment et des manifestation anti-allemands. Finalement, les 14 aéroports grecs sont rachetés par Fraport, une entreprise Allemande spécialisée dans la gestion aéroportuaire. Encore les infrastructures et l’intégration au commerce international..
L’intégration monétaire européenne se traduit initialement par une convergence des taux d’intérêts publics qui déterminent globalement le taux auxquels les banques prêtent à l’économie réelle. Dans le cas de l’Espagne c’est donc un effondrement des taux qui va donc favoriser l’endettement et l’émergence d’une bulle. Avant l’euro seule l’épargne espagnole aurait fait gonfler la bulle mais en raison du décloisonnement de l’épargne, les bulles spéculatives sont plus grandes avec l’euro.
Avec la crise de 2008, la confiance est rompue, il est évident que l’Espagne n’est pas l’Allemagne, les taux d’intérêt divergent. En novembre 2011, Mario Draghi succède à Jean-Claude Trichet à la tête de la BCE. En 2012, Mario Draghi fait son fameux discours en anglais du “quoi qu’il en coûte” avec encore une phrase célèbre d’un européiste : “Within our mandate, the ECB is ready to do whatever it takes to preserve the euro. And believe me, it will be enough.”. A l’image de ce qui a été réalisé aux États-Unis, la politique monétaire devient beaucoup plus accommodante pour refinancer les économies et les administration (cette démarcation avec Jean-Claude Trichet est-elle à chercher dans la connexion américaine de Mario Draghi qui a été vice président de Goldman Sachs Europe ?). Les politiques monétaires non conventionnelles sont mises en place pour lutter contre le spectre de la déflation. Le taux directeur et abaissé et les rachats de dette publique se font en masse. C’est le début des fameux assouplissements quantitatifs ou quantitative easing (QE).
Le PIB grec s’effondre, le chômage explose, et les baisses de salaires consenties aggravent la spirale récessive. La dette grecque explose.. Et le graphique suivant montre que jusqu’en 2019, aucune dynamique de désendettement ne s’est amorcée.
Pendant ce temps, l’argent coule à flot en Allemagne. D’ailleurs, l’endettement public allemand est à la baisse sur la période.
Face à la violence de la cure d’austérité, le peuple grec est convié à le 5 juillet 2015 est s’exprimer par voie de référendum. Le non l’emporte ce qui entraîne la furie des tenants de l’austérité européenne. Le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker laisse échéapper une phrase désormais célèbre qu’“il ne peut y avoir de choix démocratique contre les Traités européens”. En août 2015, sous la pression d’exclusion de la zone euro, Tsipras démissionne et propose de nouvelles élections pour le 20 septembre 2015. Il sera réélu et au pouvoir jusqu’en 2019. A quelques exceptions près, il accompagnera le pays dans la cure d’austérité européenne qu’il dénonçait initialement. Les institutions européennes ont ainsi imposé des mesures fortes à l’encontre des opinions populaires et avec la complicité des gouvernements qui se présentaient comme progressistes. En France, c’est particulièrement le cas du “socialiste” François Hollande qui s’était fait élire sur une double promesse de renégocier le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) et de mieux réguler la finance. Il n’en fera rien.
Grâce à ces mesures non conventionnelles de politique monétaire, la BCE a rassuré les marchés. Si la croissance économique a fini par repartir, la confiance n’est pas revenue comme en témoigne les déséquilibre des soldes TARGET2. Les mesures non conventionnelles de la BCE ont atteint un pic dans les années 2016 et 2017 avant d’être réduites progressivement jusqu’à 2019. Les grandes orientations de politique économique (GOPE) ont maintenu la nécessité pour les Etats membres et notamment la France de réduire les dépenses publiques.
Avec la pandémie et le choc mondial qui débute en 2020, une dérogation temporaire est activée sous la forme de la clause dérogatoire. Parallèlement, la BCE a réactivé sa politique monétaire non conventionnelle connue sous le nom de pandemic emergency purchase programme (PEPP). L’Union européenne s’est endettée au nom des États membres pour mettre en place un plan de relance qui sera remboursé sur trente ans entre 2028 et 2058. Il est écrit 11 fois dans le plan de relance Européen, que les Etats membres devront respecter les Recommandations 2019–2020 afin de bénéficier effectivement des fonds prévus. Du point de vue de la France, cela signifie notamment mettre en place la réforme des retraites (qui était l’unique point au programme d’Emmanuel Macron pour la campagne 2022). La France ne bénéficiera pas du plan de relance car elle remboursera 75 milliards d’euros pour n’en recevoir qu’environ 40 milliards d’euros et sous conditions de mise en oeuvre des GOPE.
Les déséquilibres de la zone euro se sont aggravés tout au long de la période et les cures d’austérité programmées sont annonciatrices de tensions à venir.
Références
- Zone euro — éclatement ou fédération, Michel Aglietta, 2012
- Les Luttes de classes en France au XXIe siècle démocratique, Emmanuel Todd, 2020
- Vincent Brousseau : L’euro et la crise financière https://www.youtube.com/watch?v=4wRYuhqmXtQ
- Euro : l’origine du mal — Épisode 1, Salomé Saqué, Blast https://www.youtube.com/watch?v=L3Cjf73q_I0
- Comment l’euro pourrait mener l’extrême droite au pouvoir — Épisode 2, Salomé Saqué, Blast https://www.youtube.com/watch?v=9TApZz0naxU
- Euro : une monnaie vouée à l’échec — Épisode 3, Salomé Saqué, Blast https://www.youtube.com/watch?v=k5bWjAUXpB4
- La maflaçon : Monnaie européenne et souveraineté démocratique, Frédéric Lordon, 2014
- Crashed: How a Decade of Financial Crises Changed the World, Adam Tooze