Libre-échange mondialisé, extractivisme, productivisme, consumérisme au détriment de l’écologie
Cette analyse s’inscrit dans notre dossier “Écologie : ce qui pose problème dans les traités européens”.
L’article 32 inscrit dans les traités européens une vision profondément idéologique de l’économie et fondamentalement antiécologique :
- la nécessité de promouvoir les échanges commerciaux
- des nécessités d’approvisionnement de l’Union en matières premières
- la nécessité d’assurer un développement rationnel de la production
- la nécessité d’une expansion de la consommation
Ces fameuses “nécessités” de l’article 32 en sont une énième illustration que les traités européens n’ont aucune adhérence avec la réalité car elles ne sont en rien des nécessité mais uniquement des visions dogmatiques du fonctionnement de l’économie qui constituent une caractéristique supplémentaire de l’européisme, cette idéologie destructrice. Nous le verrons par la suite, les conséquences destructrices concernent encore une fois l’environnement.
La nécessité de promouvoir les échanges commerciaux
L’UE part d’un étrange présupposé que la promotion des échanges commerciaux mondialisés serait une nécessité. Fondamentalement, l’histoire de l’humanité nous montre le contraire. Les échanges commerciaux se sont développés effectivement mais pas par nécessité. Dans la période moderne, tout le monde s’accorde pour dire que la mondialisation est une construction politique. Il en va de même pour la mondialisation des échanges qui en est un aspect. En inscrivant dans les traités “la nécessité de promouvoir les échanges commerciaux”, l’UE s’inscrit encore une fois dans l’idéologie.
Malheureusement, cette idéologie que l’UE voudrait compatible avec l’écologie (bien présente dans les traités via les article 3 du TUE, articles 191, 192 du TFUE etc.) est contredite par les observations empiriques. En effet, la logique d’expansion n’est en aucun cas compatible avec l’écologie à l’échelle planétaire.
Il n’existe aucun découplage absolu entre le PIB et consommations de ressources et des impacts environnementaux. En effet, l’augmentation du PIB s’accompagne de prélèvements sur la nature (pétrole, gaz, charbon, fer, aluminium, cuivre, sable, eau etc.) et d’impacts environnements (pollutions, réchauffement, moindre captation de CO2 du fait de la déforestation, érosion des sols etc.).
Avec l’intensification des échanges entre les partenaires européens et les fameux pays tiers qui regroupent les partenaires commerciaux n’appartenant pas à l’UE, il s’agit en fait d’encourager les transports de biens et services sur des distances de plus en plus longues. Or, tout le monde sait que l’énergie des transports est le pétrole. Tout le monde sait aussi les conditions dans lesquelles sont réalisées les productions dans l’usine du monde qu’est la Chine. Entre destruction de l’environnement, camps de “rééducation” pour les Ouïghours, production d’électricité à 65% basée sur le charbon, l’économie mondialisée promue par les traités européens est loin de l’idéal de démocratie, de justice sociale et d’écologie prôné par le Frexit Écologique.
L’UE met en place des droits de douanes bien inférieurs à la moyenne mondiale. Par ailleurs, si l’UE dispose d’une capacité d’appliquer des mesures antidumping, celles-ci ne s’appliquent que de manière marginales. Par ailleurs, dans la période récente, même si l’UE a beaucoup communiqué sur une taxe carbone aux frontières, le périmètre d’application concernerait uniquement le ciment, l’acier, le fer, l’aluminium, les engrais et l’électricité dans leur forme brute. En allant dans le détail sans se contenter des slogans de façade, la taxe ne s’appliquerait pas aux produits finis ou semi-finis si bien qu’elle n’affecterait en réalité que 2% des importations de l’UE. Après la confusion du Green Deal, et la nouvelle PAC antiécologique, l’UE se livre à un nouvel exercice de greenwashing. L’absence d’impact et l’inefficacité de la taxe carbone européenne est totalement en phase avec le dogme du libre échange ancré dans les traités européens et la nécessité qui en découle, de promouvoir les échanges commerciaux mondialisés. Tout cela impose une conclusion simple : face aux objectifs de développement des échanges et du commerce international, l’écologie n’est rien pour l’UE et les européistes qui la défendent.
Outre les dérives écologiques qu’elle intensifie et fait perdurer, l’UE représente également un frein pour la relocalisation écologique des productions et des industries stratégiques. Le protectionnisme et la sécurisation des capitaux qui apparaissent comme incontournables pour une telle démarche sont effectivement incompatibles avec les traités européens.
Reprenant une perspective historique, le pétrole est l’énergie des transports et de la mondialisation. Les productions peuvent être séparées des lieux de consommation et l’organisation de l’entreprise est optimisée en fonction des coûts de main d’œuvre et des normes environnementales. Avec la baisse progressive de l’approvisionnement pétrolier et énergétique c’est un monde où la production se relocalise qui se dessine — un monde presque à l’antithèse de la mondialisation européiste. La résilience nationale impose d’organiser sereinement la transformation de l’économie française avec de multiples relocalisations plutôt que de subir les fracas de la contraction des échanges mondiaux des suites du déclin pétrolier.
Des nécessités d’approvisionnement de l’Union en matières premières
Nous avons largement appuyé sur la tragédie énergétique que prépare l’UE et qui impactera de plein fouet la France si rien n’est fait à très court-terme pour sortir de la logique de dépendance totale aux énergies fossiles. Il en est de même pour l’ensemble des matières premières. Rappelons-le, dans l’empreinte carbone d’un français, les importations pèsent pour 55%. Depuis les années 1990, les français consomment de plus en plus de bien importés et produits dans des conditions qui n’ont rien à voir avec les standards français ou occidentaux. Les données d’importations de l’UE sont disponibles pour l’année 2020, on voit que les produits pétroliers représentent 13% de la valeur importée. Si l’on étend à un ensemble plus large de produits chimiques, plastiques etc. les matières premières représentent près de 40% de la valeur importée.
Malgré cette situation précaire, l’article 32 enferme les États membres dans une logique extractiviste, d’approvisionnement et donc de précarité. Avec l‘avènement de Nord Stream 2, les évènements récents ne vont pas dans ce sens — les blocages juridiques actuels sur fond de crise migratoire à la frontière de la Pologne et de la Biélorussie ne devrait absolument rien changer à la mise en exploitation et à la perfusion gazière de l’union. L’UE sous domination allemande s’installe donc pleinement dans une logique de dépendance dont la France ne doit pas se permettre de prendre plus longtemps le risque.
Le bon sens même voudrait que soit profondément inversée la logique : l’UE devrait poursuivre l’objectif d’indépendance et réduire au maximum sa dépendance à l’extérieur. Rien n’y fait.
La nécessité d’assurer un développement rationnel de la production
Le développement rationnel de la production correspond à une utilisation optimale des facteurs de production : travail, capital, ressources naturelles. Dans la mesure où les machines peuvent être activées par des sources d’énergies abondantes et peu coûteuses en supprimant du travail humain, il s’agit d’un développement rationnel de la production. Encore une fois, les traités européens s’inscrivent dans l’idéologie. Si l’histoire de l’humanité permet d’observer une transformation vers un usage intense des machines pour augmenter de manière exponentielle la production de biens matériels, il ne s’agit en rien d’une nécessité. Revenons sur l’histoire récente pour bien comprendre ce qu’est le développement rationnel de la production. Pour ce faire, appuyons-nous sur quelques extraits de la bande-dessinée publiée récemment par Christophe Blain et Jean-Marc Jancovici qui s’intitule “Le Monde sans fin”.
L’utilisation du pétrole a explosé avec la mondialisation des échanges dans les années 1950 jusqu’aux années 1970. Pendant cette période, alors que l’approvisionnement en pétrole augmente, le nombre de machines utilisées par l’humanité s’envole également. Puisqu’“on a besoin de plus plus en plus de monde pour les piloter”, les années de reconstruction et les 30 glorieuses sont une période d’expansion de l’emploi ouvrier. Plus que cela, les machines deviennent plus grosses et la production de biens matériels augmente si rapidement que l’expansion semble sans limite.
Les chocs pétroliers changent la donne. “A cause de la contrainte sur l’énergie, on ne peut plus à la fois augmenter la taille et le nombre des machine… on fait le choix de la robotisation et de l’automatisation. La taille des machines augmente, leur nombre diminue. On a besoin de moins de gens pour les piloter…”. L’emploi dans l’industrie commence à diminuer dans les années 1970–1980 alors que la production de biens industriels continue de croître grâce au machines. Le chômage apparaît alors en France. “Dans la production, le nombre d’emploi est conditionné par le nombre de machines… dans le tertiaire, les emplois sont conditionnés par le nombre d’objets produits.”. Grâce aux machines et l’énergie (alors que l’emploi industriel dégringole) l’augmentation de la production de biens permet l’augmentation du nombre d’emplois dans les services. A la fin des années 2000, l’approvisionnement énergétique subi un nouveau choc et ne permet plus de soutenir une telle expansion de la production matérielle et c’est logiquement que les emplois de services commencent à souffrir.
D’un point de vue historique, le développement rationnel de la production consiste donc à utiliser de l’énergie pour faire fonctionner un parc de machines pilotées par des employés de l’industrie afin de produire des biens matériels dont s’occupent les employés des services.
Le développement rationnel de la production devenu idéologie européiste et l’organisation de la société qui en découle repose sur un approvisionnement énergétique sans cesse croissant.
Or, quand l’approvisionnement énergétique ralentit dans les années 1970, s’installe progressivement dans le paysage français le chômage de masse, l’endettement public. Par ailleurs, les épisodes historiques de contradiction à cette condition fondamentale de l’approvisionnement énergétique croissant en 1973, 1979, 2007 et 2020 se traduisent par des crises économiques et sociales majeures.
Le développement rationnel de la production c’est l’illusion du monde sans fin dénoncée depuis 1972 par les Meadows dans l’ouvrage mondialement célèbre “Les Limites à la croissance” dont les thèses ont été largement vulgarisées en France par Jean-Marc Jancovici.
De la même manière que l’UE enchaîne les États membres dans l’extractivisme et une dépendances aux importations et aux énergies fossiles, l’UE enchaîne les États membres dans une conception de l’économie productiviste qui a porté ses fruits dans les années de reconstruction mais qui ne représente désormais en rien une solution pour l’avenir en raison des contraintes sur l’approvisionnement énergétique qui y mettront un terme, de la destruction de l’environnement qui l’accompagne et de son manque de résilience fondamental.
La nécessité d’une expansion de la consommation
A supposer que la consommation soit une source de bonheur, celle-ci serait limitée par la richesse disponible par personne (impossible de dépenser en consommation plus que ce l’on gagne sauf à s’endetter mais c’est reculer pour mieux sauter…). Or, une fois un certain niveau de richesse atteint, le niveau de bonheur stagne. En parité de pouvoir d’achat, à partir de 40000$ par an et par personne, le niveau de bonheur déclaré augmente peu avec le niveau de richesse. La recherche du bonheur ne découle pas d’un enrichissement toujours plus grand. La nécessité d’une expansion de la consommation relève donc de l’idéologie et, encore une fois, la réalité apporte la contradiction fatale.
Par ailleurs, la nécessité d’une expansion de la consommation vient en contradiction des objectifs écologiques. En effet, si l’on part de l’empreinte carbone d’un français moyen qui représente sa consommation, celle-ci s’élève à près de 12 tonnes d’équivalent CO2 par an ce qui est 8 fois supérieur à l’objectif de neutralité carbone qui est d’environ 1,5 tCO2eq/an/habitant. Pour atteindre cet objectif trois axes majeurs sont à développer : la décarbonation des usages, l’efficacité énergétique, la sobriété.
- La décarbonation des usages revient à substituer des énergies bas carbone (nucléaire, hydrauliques, renouvelables) aux énergies fossiles (pétrole, charbon, gaz) dans les différents usages : transports, production d’électricité, chaleur, production de matériaux etc.
- L’efficacité énergétique consiste à mettre en œuvre des services plus efficaces c’est-à-dire qui offrent plus de services pour une unité d’énergies utilisée. Améliorer l’efficacité d’un moteur de voiture ou d’avions par exemple. Mais attention à l’effet rebond qui fait que lorsque l’efficacité augmente, l’on tend à utiliser davantage le système pour un bilan final qui correspond à plus de pollution.
- Enfin, la sobriété consiste tout simplement à réduire nos usages. Par exemple, réduire son usage de l’avion et de la voiture, baisser la température de son chauffage, manger moins de viande, réduire ces achats de matériels informatiques etc.
Ces trois composantes d’action sont indispensables. Si la décarbonation et l’efficacité sont les plus médiatisées (car elles suscitent plus d’enthousiasme auprès de la population), la sobriété est de loin la plus efficace.
La sobriété a l’inconvénient majeur de ne pas augmenter le PIB qui est l’indicateur obsessionnel des organisations internationales et des politiques publiques sous surveillance de la commission européenne.
Réduire ses usages devient aussi une affaire de volonté si ce n’est une atteinte à la liberté quand les autorités publiques sont à l’origine de la démarche. A ce sujet, rappelons l’émoi face à une simple proposition de réduire la vitesse maximale autorisée sur les autoroutes de 130 km/h à 110 km/h. Une mesure écologique simple proposée par la convention citoyenne pour le climat qui a suscité un tollé dans le débat public alors qu’elle objectivement peu impactante sur les temps de trajet. Au delà des vifs débats que peut produire une politique de sobriété il faut souligner l’incohérence totale de l’article 32 du TFUE imprégné d’une vision consumériste quand la transition écologique impose au contraire de revoir à la baisse nos besoins de consommation.
Conclusion
L’article 32 du TFUE promeut l’intensification des flux et le libre-échange (« les échanges commerciaux entre les États membres et les pays tiers »), le productivisme (« développement rationnel de la production »), le consumérisme (« expansion de la consommation »), la concurrence dure (« accroître la force compétitive des entreprises »), l’extractivisme et le matérialisme (« nécessité d’approvisionnement de l’Union en matières première et demi-produits »). Autant d’éléments qui ont contribué et contribuent encore à la destruction de l’environnement mais constituent également des fondamentaux extrêmement fragiles pour une société en quête de résilience. Le modèle économique actuel qui fait reposer l’emploi et le système social sur un approvisionnement énergétique sans cesse croissant ne manquera pas de subir la désillusion incontournable qui découle de la finitude de la planète.
Promouvoir un nouveau modèle social plus juste et résilient en accord avec les évolutions majeures du XXIème siècle est au cœur du projet du Frexit Écologique. C’est le 5ème point de notre manifeste. Bien conscient des contradictions que représente l’UE vis-à-vis de ces objectif, c’est une justification majeure pour le principe de Frexit.
Le mouvement décroissant qui propose une critique de l’économie mondialisée et destructrice de l’environnement sera fatalement confronté à la contradiction du cadre européen et de l’article 32 du TFUE. Nous n’avons à ce jour pu constater aucune critique du cadre européen au sein du mouvement décroissant.