Le dogme de la croissance (verte) à l’échelle mondiale

Frexit Ecologique
6 min readSep 13, 2021

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Cette analyse s’inscrit dans notre dossier “Écologie : ce qui pose problème dans les traités européens”.

Nous avons montré précédemment que le dogme de la croissance verte est inscrit dans les traités européens. L’imposture écologique qui se glisse au tout début des traités est un problème de conception fondamental de la pensée européiste qui est de plus en plus reconnu.

Pour ceux qui ne sont pas convaincus, nous citerons ni plus ni moins que Jean-Marc Jancovici qui indiquait au sujet de l’article 3 du TUE : “c’est quand même ballot d’avoir dans la constitution un truc qu’on est pas sûr d’avoir, mais non seulement qu’on est pas sûr d’avoir mais qu’on est de plus en plus sûr de ne pas avoir”.

Malheureusement, l’UE ne se contente pas de garder son dogme de la croissance (verte) pour elle-même. L’UE se donne comme objectif de l’action extérieure de “soutenir le développement durable sur le plan économique, social et environnemental des pays en développement […] ”.

https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=OJ:C:2007:306:FULL&from=FR

En particulier, il s’agit pour l’UE de promouvoir cette idéologie dans les pays en développement. Or, nous l’avons largement indiqué, la croissance du PIB est impossible sans dégradation de l’environnement et notamment sans augmentation ou baisse suffisante des émissions de gaz à effet de serre pour limiter le réchauffement climatique à 2°C par rapport à 1850–1900. A l’échelle mondiale, la corrélation entre PIB et émissions de gaz à effet de serre est quasiment de 1 pour 1.

Nous ajouterions volontiers que la croissance du PIB sans dégradation de l’environnement est d’autant plus impossible dans les pays en développement où les mix énergétiques sont généralement plus carbonés et où l’exploitation des ressources naturelles, l’extractivisme a tendance à occuper une place centrale dans l’économie (les pays occidentaux ont tendance à faire en sorte que les pays en développement ne sortent jamais de ce schéma extractif, finalement à faible valeur ajoutée et peu porteur d’émancipation).

Par ailleurs, l’UE a pour objectif “d’encourager l’intégration de tous les pays dans l’économie mondiale, y compris par la suppression progressive des obstacles au commerce international.

L’ouverture au monde et aux autres cultures est essentielle. Néanmoins, ce qui vaut pour les rapports humains ne peut être étendu sans réflexion au domaine économique. Certes, le développement de technologies bas-carbone efficaces et leur diffusion à l’échelle mondiale doit permettre d’accélérer la transition vers la neutralité carbone. Néanmoins, l’économie mondiale repose actuellement sur un mix énergétique constitué à 79% d’énergies fossiles (pétrole, gaz, charbon) — une proportion qui n’a que faiblement baissé depuis 1975 où les énergies fossiles représentaient 82% du mix (pour plus de détail sur le mix énergétique mondiale et son évolution, lire notre brève perspective historique du mix énergétique mondial). De plus, porte-conteneurs et camions qui sont les principaux moyens de fret sont largement dépendant du pétrole donc encore l’énergie fossile. Ainsi, œuvrer comme le fait l’UE à la “suppression progressive des obstacles au commerce international” relève d’une démarche d’intensification des flux et donc des mécanismes de l’économie actuelle. Ce faisant, l’UE œuvre à l’augmentation des combustions fossiles, des émissions de gaz à effet de serre et de la destruction de l’environnement.

La production de biens matériels nécessite à la fois du capital et du travail mais aussi des ressources naturelles. Pourtant, la production de biens se traduit par des impacts environnementaux dont l’UE déclare se soucier puisque dans les objectifs figurent “la gestion durable des ressources naturelles mondiales”. Nous avons à quel point cet objectif bienveillant à l’égard de la nature était contradictoire avec le développement du commerce mondiale et le dogme de la croissance économique. Nous avons également introduit en quoi l’objectif prioritaire était d’ordre économique et non écologique.

Le problème est en réalité bien plus profond et nous allons montrer en quoi le dogme de la croissance européiste à l’échelle mondiale va au-delà du désastre environnemental et s’institue en idéologie meurtrière.

Déforestations

Pour l’illustrer, prenons l’exemple de l’accord commercial en cours de négociation entre l’UE et le Mercosur (Mercado Común del Sur) qui regroupe dans un même espace Brésil, Argentine, Paraguay, Uruguay et Venezuela. Le sujet a été lancé par l’UE en 1995 (3 après le traité de Maastricht qui institutionnalisait sur le vieux continent le libéralisme économique mondialisé). En fonction des alternances politiques au Brésil en particulier, les négociations ont eu du plomb dans l’aile mais l’UE ne renonçait pas à son objectif “d’intégration de tous les pays dans l’économie mondiale” et de développement des échanges commerciaux etc. Les négociations ont repris depuis 2016.

Une étude très récente montre que l’UE serait la deuxième responsable de la déforestation liée au commerce international (16%). La Chine porterait la plus grande responsabilité avec 24% devant l’Inde à 9%, les États-Unis à 7% et la Japon à 5%.

Cette étude indique par ailleurs, qu’“au cours de la période 2005–2017, la plus grande partie de la déforestation tropicale importée par l’UE provenait du Brésil (30 %, déforestation de 87 000 hectares par an), d’Indonésie (22 %, 64 000 ha), d’Argentine (10 %, 30 000 ha) et du Paraguay (8 %, 22 000 ha).” Sur une période de plus de 10 ans, l’UE importe donc près de 50% de sa déforestation des pays membres du Mercosur !

Cet état de fait bien connu n’empêche en rien l’UE de continuer à œuvrer pour la mise en place de l’accord commercial UE-Mercosur. Que les représentants européistes de la France émettent des craintes n’y change rien.

Le désastre que produit le dogme de la croissance européiste à l’échelle planétaire ne s’arrête pas à la déforestation, il va jusqu’aux assassinats et s’institue en idéologie meurtrière

Assassinats

En 2020, 227 défenseurs de l’environnement ont été assassinés dont la plupart en Amérique Latine. 70% de ces assassinats sont en lien avec la lutte contre la déforestation. Or, l’UE est la deuxième responsable de la déforestation liée au commerce international et près de 50% de sa déforestation importée vient d’Amérique du Sud.

C’est bien en raison de leur opposition au modèle de croissance européiste et ses conséquences que ces militants ont été tués.

En renforçant les échanges avec le Mercosur depuis 1995 et renforçant par la même occasion le développement d’une économie de l’extraction et de la déforestation, l’UE porte une responsabilité évidente dans ces assassinats. C’est là que l’idéologie de la croissance se transforme en idéologie meurtrière.

Conclusion

L’article 21 donne à l’UE l’objectif de propager le dogme de la croissance à l’échelle mondiale, sous sa forme de croissance verte ou même de croissance pour la croissance. La cible particulière de l’UE ce sont les pays en développement.

A travers l’exemple du Mercosur que l’UE soutient depuis 25 ans nous avons vu les conséquences du modèle et de l’idéologie qui le sous-tend : transports internationaux, énergies fossiles, gaz à effet de serre, extraction, déforestations, assassinats. Nous n’avons même pas évoqué la criminalité qui est de fait plus étendue encore que les assassinats.

Les objectifs affichés d’ “aide aux populations, aux pays et aux régions confrontés à des catastrophes naturelles ou d’origine humaine” ne sont qu’une façade des institutions européennes.

La réalité est l’UE continue à promouvoir le dogme de la croissance (verte) qui s’avère être une idéologie meurtrière.

En cela, l’UE ne fait que poursuivre ces objectifs indiqués à l’article 21 du TUE.

Tous les écologistes et responsables politiques doivent en avoir conscience et en tirer des conclusions.

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Written by Frexit Ecologique

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