L’éloge d’une agriculture destructrice de la planète et les fausses promesses de la nouvelle PAC
Cette analyse s’inscrit dans notre dossier “Écologie : ce qui pose problème dans les traités européens”.
La productivisme au cœur de la PAC
La Politique Agricole Commune plus communément désignée par l’acronyme de PAC est instituée par l’article 38 du TFUE (“L’Union met en œuvre une politique commune de l’agriculture et de la pêche”). La PAC revient très souvent dans le débat public français en raison de l’importance historique du secteur agricole pour le pays. En 2019, malgré le cadre destructeur, la France représentait près de 19% de la valeur de la production agricole de l’UE quand l‘hégémon allemand était à près de 14%.
Pour l’économie, les États membres proposent à la Commission européenne un Programme National de Réforme (PNR) dans le cadre des Grandes Orientations de Politique Économique (GOPÉ).
Pour l’énergie et climat, les États membres proposent à la Commission européenne des Plans nationaux en matière d’énergie et de climat (PNIEC) dans le cadre de l’Union de l’énergie et du Cadre d’Action en Matière de Climat et d’Énergie (CAMCE).
Pour la PAC, le fonctionnement est comparable : Les États membres proposent chacun à la Commission une planification stratégique en accord avec le cadre réglementaire européen. De document de planification est intitulé Plan stratégique national (PNS). Il fait l’objet de recommandations de la part de l’échelon supranational.
L’esprit de la PAC est précisé à l’article 39 du TFUE.
Sans surprise, les principes qui s’appliquent à l’agriculture et à la pêche sont également ceux de la logique productiviste : “accroître la productivité”, “développant le progrès technique, “développement rationnel de la production”, “emploi optimum des facteurs de production” (cela rappelle beaucoup l’esprit de l’article 32 du TFUE).
- Le progrès technique correspond à l’usage de machines agricoles (qui fonctionnent avec de l’énergie, essentiellement fossile !), de pesticides et de fertilisants chimiques. Le progrès technique permet des hausses de rendement ce qui a assuré dans l’après-guerre la fonction fondamentalement nourricière de l’agriculture (avant que la terre ne soit devenue totalement stérile et qu’il faille recourir à une déforestation supplémentaire pour continuer l’exploitation et la production). Les OGM qui font polémiques en France (encore dans le cadre du projet de nouvelle PAC) sont à raccrocher à la rubrique “progrès technique”.
- Des machines et des produits chimiques qui réduisent la quantité de travail humain et qui augmentent les rendement c’est accroître la productivité. L’augmentation de la taille des exploitations, la spécialisation des cultures sont également une manière d’aller encore plus loin. A surface agricole constante (ce qui est à peu près le cas au sein de l’UE depuis près de dix ans), l’augmentation de la taille des exploitations se traduit par une diminution du nombre de petites exploitations au profit grandes exploitations. Concrètement, reprenant les catégories d’eurostat, il s’agit d’une disparition des fermes de semi-subsistance (où l’accent est mis sur la croissance d’une forte proportion de denrées alimentaires pour nourrir les agriculteurs et leurs familles) et des petites et moyennes exploitations (généralement des entreprises familiales) au profit des grandes entreprises agricoles ultra-industrielles. Parallèlement à la concentration et augmentation de la taille des exploitations agricoles, la spécialisation de l’agriculture et de l’élevage a explosé passant de 68% à 77% entre 2005 et 2016.
- Cette concentration et augmentation de la taille des exploitations et spécialisation accrue est rendue possible par le progrès technique et l’énergie abondante. Grâce aux fertilisants de synthèses il est possible séparer les cultures végétales et animales et, s’appuyant sur l’abondance et le faible coût du pétrole énergie des transports mondialisés, de s’affranchir des distances pour passer d’une échelle locale à une échelle internationale pour un emploi optimum des facteurs de production. C’est ainsi que la France peut ainsi se permettre fait traverser l’Atlantique aux protéines qui serviront à nourrir ses animaux. Comme nous l’indiquions dans l’analyse de l’article 21 du TFUE, l’UE serait la deuxième responsable de la déforestation liée au commerce international avec près de 50% de sa déforestation importées des pays membres du Mercosur ! L’augmentation des transports longue distance se traduit évidemment par des émissions de CO2 supplémentaires du fait de la combustion accrue de carburants fossiles pour les moteurs de porte-conteneurs, camions etc.
- Dans la mesure où cet ensemble correspond à d’un développement rationnel de la production, la conformité aux traités européens est assurée. Peu importe si cela conduit à une destruction accélérée de l’environnement, la précarité des agriculteurs français et une dégradation de la santé des citoyens… Et pour cause, l’UE continue à œuvrer pour la mise en place d‘accords commerciaux internationaux intégrant évidemment le secteur agricole et l’élevage.
Un tel système fait évidemment l’objet de vives critiques d’un bord à l’autre de l’échiquier politique. En particulier chez EELV dont l’attachement sans faille à l’européisme est une contradiction profonde avec ses promesses d’écologie politique.
Les promesses écologiques de la nouvelle PAC
Pour répondre à ces critiques, les représentants politiques de l’UE se sont efforcés de mettre en place une nouvelle nouvelle PAC plus écologique. Regardons plus en détail.
Les modifications proposées pour la nouvelle PAC sont disponibles au lien suivant. La Commission européenne a proposé une réforme avec 9 objectifs. Dans l’ordre d’affichage, la compétitivité arrive en deuxième position après le revenu équitable. Les objectifs climatiques et écologiques sont bien présents. La nouvelle PAC se veut plus verte notamment via l’introduction d’éco-régimes que l’on définit comme “des pratiques comme l’agriculture de haute précision, l’agroforesterie, l’agriculture biologique, mais les États seront libres de désigner leurs propres instruments en fonction de leurs besoins”. Une première remarque est que “l’agriculture de haute précision” présent dans la liste n’est n’est pas forcément une agriculture écologique. Dans la même logique, l’agroforesterie et le bio peuvent faire l’objet de logiques productivistes et donc être antiécologiques.
La PAC représente un budget de 408,3 milliards d’euros sur la période 2014–2020 soit approximativement 60 milliards d’euros par an et se répartit selon deux piliers :
- pilier I : les aides directes (~80% du budget)
- pilier II : développement rural (~20% du budget)
Le budget pour les éco-régimes s’élèverait à 20% des aides directes soit 16% du budget de la PAC (20% des 80% que représentent les aides directes). Le montant dédié aux éco-régimes peut donc être estimé à quelques 9 milliards d’euros par an pour l’UE dans sa totalité. Selon un clef de répartition classique, la France en toucherait 1,8 milliards d’euros.
Un montant à comparer à la consommation alimentaire hors boissons alcoolisée qui s’élève à 162,2 milliards d’euros au titre de l’année 2018.
Dans conditions, les éco-régimes ne vont couvrir que 1% des dépenses françaises ce qui ne peut aucunement prétendre transformer l’agriculture productiviste européenne.
De plus, dans la nouvelle PAC, la subvention proportionnelle à la taille de l’exploitation reste le credo. Par conséquent, la logique est toujours de tendre vers la productivité et la concentration des exploitations.
La nouvelle PAC est un pur greenwashing, comme le Green Deal et toute autre démarche que l’UE prétend réaliser au en faveur de l’écologie.
Conclusion
Contrairement aux promesses, la nouvelle PAC ne fera pas de l’UE un modèle d’écologie en matière d’agriculture et d’élevage.
Le modèle productiviste et mondialisé qui favorise le modèle ultra-industriel reste dominant. La mise en œuvre d’éco-régimes qui pèsent pour 1% de la consommation alimentaire des français n’y changera rien, vraiment rien… De plus, la démarche de fond qui voit l’UE chercher les accords de libre-échange mondialisés ne fera qu’intensifier l’incohérence entre le fonctionnement du système et les promesses écologiques.
La programmation 2015–2020 de la PAC a été prolongée de deux ans en raison de la crise sanitaire et de la durée des négociations européennes.
La nouvelle PAC entrera en vigueur pour la période de 2023 jusqu’à 2027.
Pendant 5 années supplémentaires, le modèle agricole ultra-industriel de l’UE continuera donc à dégrader notre santé, détruire l’environnement et précariser les agriculteurs français. A moins que les citoyens ne fasse le choix de la rupture dans l’esprit du Frexit Écologique.