Gouvernance de l’union de l’énergie et de l’action pour le climat
Le projet d’Union de l’énergie est introduit par la Commission européenne en 2015. Il s’agit d’une démarche d’intégration européenne supplémentaire qui a été très peu médiatisée. En 2019, l’ensemble des actes législatifs formalisant l’union de l’énergie avaient été adoptées si bien que l’union de l’énergie était une réalité.
Dans les années 1980, les grands pas de la construction européenne ont été réalisés autour d’une préoccupation économique. Avec les traités européens et en particulier les articles 121 et 126 du TFUE, les États membres ont perdu l’essentiel de leur pouvoir de décision en matière de politique économique. Dans la mesure où l’Union s’étend à la fin des années 2010 au domaine de l’énergie il est légitime de se poser la question : dans le cadre de l’Union de l’énergie, les États membres et la France en particulier ont-ils perdu l’essentiel de leur pouvoir de décision en matière de politique énergétique ?
C’est principalement à cette question que l’analyse suivante est dédiée.
Il s’agit tout d’abord de faire le point sur le cadre juridique correspondant à l’Union de l’énergie avant d’analyser les contraintes qu’il représente pour les États membres.
La gouvernance de l’union de l’énergie et de l’action pour le climat
La gouvernance de l’union de l’énergie et de l’action pour le climat fait l’objet du règlement (UE) 2018/1999 qui s’imbrique avec plusieurs directives et règlements :
- des objectifs de sécurité d’approvisionnement énergétique, marché intérieur de l’énergie, efficacité énergétique, décarbonation, recherche, innovation et compétitivité, énergies renouvelables. Ils sont détaillés à l’article 4 règlement (UE) 2018/1999.
- un cadre pour le développement des énergies renouvelables avec la directive (UE) 2018/2001 qui instaure l’objectif collectif d’une part de 32% d’énergie produite à partir de sources renouvelables dans la consommation finale brute d’énergie de l’Union en 2030. Les États membres doivent définir des objectifs nationaux selon le processus de détermination des contributions des États membres dans le domaine des énergies renouvelables qui fait l’objet de l’article 5 du règlement (UE) 2018/1999.
- un cadre pour l’efficacité énergétique avec la directive 2012/27/UE qui vise à accroître de 20 % l’efficacité énergétique d’ici à 2020 et de préparer la voie pour de nouvelles améliorations de l’efficacité énergétique au-delà de cette date. A l’efficacité énergétique est associé un objectif de consommation d’énergie primaire et finale pour 2030 : consommation d’énergie au niveau de l’Union de 1 273 Mtep d’énergie primaire et de 956 Mtep d’énergie finale. Les États membres doivent définir des objectifs nationaux selon le processus de détermination des contributions des États membres dans le domaine de l’efficacité énergétique qui fait l’objet de l’article 6 du règlement (UE) 2018/1999.
- un cadre pour la décarbonation, le règlement (UE) 2018/842 établit pour les États membres des obligations relatives à leurs contributions minimales pour la période 2021–2030, en vue d’atteindre l’objectif de l’Union de réduire, d’ici à 2030, ses émissions de gaz à effet de serre de 30 % par rapport aux niveaux de 2005 (sur un périmètre de secteur défini). Afin de pouvoir piloter la réduction des émissions de gaz à effet de serre il faut être d’accord sur la manière de compter (=règlement UE 2018/841) et il faut aussi se donner un mécanisme de surveillance (=règlement UE 525/2013).
- un cadre pour la sécurité d’approvisionnement qui met en avant la nécessité de diversifier l’approvisionnement en provenance des pays tiers où l’indépendance énergétique est optionnelle (“le but pouvant être de réduire la dépendance à l’égard des importations d’énergie”) ce qui confirme que la dépendance au gaz russe ou au pétrole saoudien n’est pas un sujet majeur du point de vue européiste alors que cette dépendance, dans un contexte de baisse de l’approvisionnement est un risque majeur pour la stabilité économique et sociale comme nous l’expliquions dans une brève perspective historique du mix énergétique mondial.
- un cadre pour le marché intérieur de l’énergie qui fixe pour chaque État membre, entre autres généralités, un objectif d’au moins 15 % d’interconnexion électrique pour 2030
- un cadre pour la recherche, l’innovation et la compétitivité qui n’a rien d’intéressant (tissu de banalités pour dire qu’on a vu le point mais on n’en fait pas grand chose)
- des règles de fonctionnement avec l’introduction des Plans nationaux intégrés en matière d’énergie et de climat (PNEC) qui doivent être produits par chaque État membre de l’UE. Les PNEC sont transmis à la Commission européenne pour évaluation en vertu de l’article 29 du règlement (UE) 2018/1999. Un rapport sur l’état de l’union de l’énergie est produit par la Commission au plus tard le 31 octobre de chaque année. La Commission peut intervenir et contraindre les États membre en cas de manque d’ambition (article 31 ) en cas de progrès insuffisants (article 32 du règlement (UE) 2018/1999). Dans ce dernier cas, les États membres doivent agir en moins d’un an après la réception de l’évaluation de la Commission. Dans certains cas, une forme d’amende est prévue sous forme de “contribution financière volontaire en faveur du mécanisme de financement des énergies renouvelables de l’Union”. Les modalités d’exécution de ce règlement font l’objet à leur tour l’objet du règlement d’exécution (UE) 2020/1208. L’évaluation des politiques énergétique et climatique des États membres est réalisée sur la base d’une fréquence annuelle, exactement comme l’évaluation des politiques économique dans le cadre des Grandes Orientations de Politique Économique (GOPÉ).
La gouvernance de l’union de l’énergie et de l’action pour le climat peut être résumée par le schéma suivant qui regroupe à la fois les objectifs, les cadres, les règles de fonctionnement. Aucun aspect de la politique énergétique n’échappe au cadre européen.
Les contraintes du l’Union de l’énergie
Après avoir vu l’étendue de l’Union de l’énergie, il nous revenir à la question initiale : dans le cadre de l’Union de l’énergie, les États membres et la France en particulier ont-ils perdu l’essentiel de leur pouvoir de décision en matière de politique énergétique ?
Avant toute chose, il nous faut souligner notre accord avec deux principes que sont le développement des énergies renouvelables et l’efficacité énergétique à l’échelle européenne. En effet, il s’agit d’ingrédients indispensables pour réussir la transition écologique. Dans le secteur électrique, dans la mesure où l’éolien et le solaire effacent des productions fossiles, le bilan est positif. En revanche, si ces moyens de production se traduisent par une baisse de production nucléaire bas-carbone, alors, cela n’a aucun intérêt. C’est dans cette perspective (au moins) que la contrainte européenne pourrait s’avérer contreproductive pour la France. Faisons le point.
L’Union de l’énergie établie, la Commission européenne publie le 18 juin 2019 ses premières recommandations à la France. La France est invitée à “relever le niveau d’ambition pour 2030 à au moins 33 % d’énergies renouvelables, en tant que contribution de la France à l’objectif de l’Union en la matière à l’horizon 2030”. Et plus encore “à présenter des politiques et des mesures détaillées et quantifiées”.
Comme indiqué précédemment, un État membre dispose d’un an pour mettre en œuvre les demandes de la Commission. La France n’échappe pas à la règle. En effet, dans son évaluation du 14 octobre 2020, la Commission se félicite : “la France a largement suivi les recommandations reçues”.
Nous observons bien la contrainte que représente l’UE qui impose un accroissement des énergies renouvelables à la France. Rentrons plus en détail dans le PNIEC.
Pour répondre à la contrainte européenne, la France indique que les renouvelables doivent représenter au moins 40% de la production d’électricité.
Pour la même année 2020, le bilan électrique de la France produit par RTE est le suivant :
Les énergies renouvelables (éolien, solaire, bioénergies, hydrauliques) représentent 25,4% (127 TWh) de la production électrique quand le nucléaire en représente 67,1% (335,4 TWh) et le thermique fossile 7,5% (37,6 TWh). La production totale s’élève à 500 TWh quand la consommation s’élève à 460 TWh (un minimum depuis 10 ans à relier à la crise sanitaire qui se matérialise en mars 2020).
A production constante, si l’on suppose une part de 40% des énergies renouvelables (200 TWh contre 127 TWh quand elles représente 25,4%) et que cela mène à résorber prioritairement les 37,6 TWh de production fossile alors, la production nucléaire doit baisser de 35,4 TWh. Une telle production revient à fermer 6 réacteurs de 900 MWe avec un facteur de charge de 80%. De ce point de vue, les contraintes de l’Union de l’énergie qui impose le développement des énergies renouvelables est un non sens total du point de vue de la France.
Dans le cadre de l’Union de l’énergie, les États membres et la France en particulier ont-ils perdu l’essentiel de leur pouvoir de décision en matière de politique énergétique ? La réponse est oui et la servitude volontaires des politiciens français n’arrange pas la situation. Plutôt que de lutter pour maintenir une production nucléaire, la France va bien au-delà acceptant un développement des énergies renouvelables plus volontariste que de raison sous l’injonction de la Commission. Les déclarations d’Emmanuel Macron du 9 novembre 2021 changeront-elles quelque chose ? Probablement pas.
L’Union de l’énergie apparait comme une source supplémentaire d’affaiblissement de la France dans le cadre de l’Union européenne.